Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/489

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour les prêts à la grosse aventure. Alors même on était loin encore d’être arrivé au bout de ses peines. On se trouvait dans la même situation que le plaignant auquel, comme à Démosthène, le tribunal avait alloué, en réparation d’un dommage, une indemnité dont il fixait le chiffre ; on avait le jugement, restait à l’exécuter. Pour y parvenir, vous ne deviez compter que sur vous-même. Votre débiteur avait-il réussi à mobiliser toute sa fortune, à la rendre invisible, comme on disait à Athènes, vous étiez à peu près sûr de vous voir frustré dans vos efforts. Chez nous, en pareil cas, le débiteur de mauvaise foi met son avoir en titres au porteur ; allez ensuite les saisir dans son portefeuille ! Chez les Athéniens, la richesse mobilière était déjà assez développée ; le fripon bien décidé à ne point payer pouvait ou déposer son argent chez un ami ou même le faire valoir sous un prête-nom.

La propriété foncière gardait pourtant une importance considérable. On sait le goût des Athéniens pour la terre, le plaisir qu’ils trouvaient à passer une partie de l’année dans leur bien de campagne, à y célébrer les fêtes locales, à manger les figues et les olives de leurs vergers, à boire le vin de leur vigne. Les maisons de ville, à Athènes et au Pirée, étaient aussi d’un bon rapport et fort recherchées, à ce titre, comme placement lucratif et solide. Enfin tout citoyen aisé avait sa demeure patrimoniale, garnie d’un mobilier plus ou moins riche ; il n’y avait guère que les Athéniens de la plus basse classe et les étrangers qui habitassent chez autrui des appartemens pris à bail. Aussi presque toujours une partie tout au moins de la fortune du débiteur était visible, suivant l’expression athénienne ; il possédait, soit en ville, soit quelque part dans l’Attique ou dans les îles voisines, des biens au soleil. C’étaient ces biens qui formaient la seule garantie du créancier ; c’était eux qu’il s’agissait de saisir.

Il n’était qu’un moyen d’atteindre ce résultat, il fallait se mettre soi-même en possession. A cet effet, quand le débiteur ne s’était point acquitté dans les délais voulus, délais dont le terme ne nous est pas bien connu, le créancier prenait des témoins et se transportait, avec eux dans la maison ou sur la terre de son débiteur ; il déclarait à celui-ci qu’en vertu du jugement prononcé il s’emparait de ce champ ou de ces bâtimens, et leur attribuait telle ou telle valeur. S’il ne rencontrait aucune résistance, il faisait tout de suite acte de propriétaire ; il enlevait les fruits, ou bien il prenait les clés des magasins qui contenaient les récoltes, le vin, l’huile, le bois de chauffage et de construction ; il emportait les meubles, emmenait les esclaves. Les choses ne se passaient guère d’ailleurs avec cette facilité ; on devine combien de contestations devait soulever ce mode