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contre le président et son administration personnelle. « L’administration actuelle, y était-il dit, s’est rendue coupable d’un relâchement déplorable et d’un mépris grossier des lois du pays ; elle a usurpé des pouvoirs qui ne lui sont pas accordés par la constitution… Le président des États-Unis s’est ouvertement servi des pouvoirs et des facilités de sa charge pour la poursuite de ses intérêts personnels. Il a conservé notoirement des hommes corrompus et indignes dans des postes élevés… Il a usé des services publics comme d’un instrument de parti et d’influence personnelle, et il s’est mêlé avec une tyrannique arrogance des affaires des états et des municipalités. Il a récompensé avec des places lucratives des hommes qui avaient acheté sa faveur par des présens, encourageant ainsi la démoralisation politique par son éclatant exemple. Il s’est montré déplorablement inférieur à sa tâche, et criminellement insouciant des responsabilités de ses hautes fonctions… Les partisans de l’administration se sont dégradés eux-mêmes et ont déshonoré le nom de leur parti en se faisant bassement les sycophantes du dispensateur du pouvoir et des places ; ils ont cherché à étouffer la voie de la juste critique et le sens moral du peuple. »

À ces dénonciations brutales, qui donnaient à l’opposition des républicains libéraux un caractère tout personnel, vinrent se joindre, quelques semaines après, celles du sénateur Sumner, qui au début n’avait pas cru devoir prendre part au mouvement de Cincinnati. Il se leva en plein sénat, au moment même de la fin de la session, pour prononcer un discours virulent contre le général Grant, l’accusant de népotisme, de césarisme, d’incapacité scandaleuse, affirmant qu’il avait soldé ses dettes personnelles à l’aide de son patronage administratif, mis ses nominations au service de ses intérêts et de ses affections de famille, et que même il s’était enrichi des cadeaux faits par ses créatures. D’ailleurs, ajoutait M. Sumner avec une jalousie trop visible, où le président aurait-il pu se préparer au gouvernement et à la vie publique ? Peu de militaires ont su faire dans l’histoire figure de vrais hommes d’état, et le général Grant le pouvait moins que tout autre, « lui qui était entré à quarante-six ans dans la vie politique, et qui, avant la guerre civile, gagnait quelques centaines de dollars par an à tanner des peaux dans la ville de Galena ? » Ces violences dépassaient de beaucoup le but, et elles étaient d’autant plus choquantes qu’elles venaient d’un des hommes politiques les plus sérieux, les plus respectés de l’opinion républicaine. Les sénateurs du parti du président, MM. Conkling, Logan, Carpenter, donnèrent la réplique à M. Sumner, et ils n’eurent pas de peine à se venger sur M. Greeley des injures faites par ses amis au général Grant. Ainsi débuta dans l’enceinte même de la grave assemblée sénatoriale la grande joute oratoire