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battre Grant, » c’était le cri du jour dans l’opposition tout entière, et il faut ajouter le seul cri de guerre auquel pouvaient se rallier ses membres épars. Les états du sud se distinguaient surtout par leur zèle. Il y avait bien çà et là quelques vieux confédérés intraitables, comme le sénateur Toombs, de la Géorgie, qui injuriaient leur ancien ennemi sans se préoccuper des conséquences ; mais, la plupart des ci-devant rebelles embouchaient la trompette en son honneur. Le gouverneur Vance, de la Caroline du nord, fit lui-même un discours ardent en faveur de Greeley, qu’il félicita, peut-être avec une certaine ironie, d’être enfin devenu un bon démocrate. Dans la convention de Virginie, le gouverneur Smith avait déclaré « qu’il voterait pour juif ou gentil, chien ou démon, à la condition de battre Grant. » Un autre orateur avait avoué franchement « qu’il prenait Greeley comme on prend de la quinine dans un pays et dans un temps de fièvre. » Les sentimens des démocrates étaient visibles : ils exécraient leur candidat ; mais, avec ce bon sens politique qui n’abandonne jamais en ce pays les opinions les plus passionnées, ils sentaient qu’il n’y en avait pas d’autre possible, et ils essayaient d’en tirer parti. Ils faisaient de nécessité vertu, et, une fois leur résolution prise, ils ne songeaient plus qu’à réussir. On ne trouva pas, dans toute la convention de Baltimore, vingt signatures à mettre en bas d’une protestation contre l’élection de Greeley.

Les chances du vieux « philosophe » avaient donc beaucoup augmenté ; mais comme toujours, en évitant un premier péril, il allait se trouver en présence d’un autre. Il avait triomphé de la répugnance des démocrates ; maintenant les républicains libéraux commençaient à déserter son camp. C’était l’inévitable danger de cette candidature incertaine et amphibie. M. Greeley était condamné à faire comme ces équilibristes qui se tiennent debout sur deux chevaux lancés au galop, un pied sur chacun, mais qui peuvent tomber dans le vide, si l’un des deux fait un écart. Gagnerait-il plus d’adhésions du côté des démocrates qu’il n’en perdrait du côté des libéraux ? et, s’il retenait les libéraux sous son joug, ferait-il plus de recrues du côté des républicains qu’il ne lui manquerait de partisans du côté des démocrates ? Toute la question électorale était dans la proportion de ces gains et de ces pertes. On ne pouvait savoir à quoi s’en tenir avant les élections locales, qui devaient avoir lieu dans plusieurs états avant le vote du mois de novembre, et donner la mesure de la force des différens partis. De toutes ces épreuves préparatoires, celles qu’on attendait avec le plus d’impatience étaient celles de la Caroline du nord, de la Pensylvanie et du Maine, états où les forces des deux partis se balançaient d’habitude, et dont le vote devait fournir un indice certain des opinions dominantes dans les trois régions du sud de l’est et du centre.