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faisait l’arbitrage aurait été inévitablement rompu, si les arbitres eux-mêmes, évoquant volontairement l’affaire, n’avaient tiré les deux gouvernemens d’embarras en déclarant qu’ils se prononceraient contre les dommages indirects, si cette question leur était soumise. La diplomatie du général Grant n’était donc pas irréprochable, et elle méritait quelques-unes des critiques que lui faisaient ses adversaires en l’accusant à la fois d’imprudence et de faiblesse. Imprudente, elle l’avait été en soulevant un incident qui devait tout entraver, en essayant d’imposer au gouvernement britannique des prétentions déraisonnables et inacceptables ; faible, elle était forcée de l’être pour éviter les conséquences de cette première faute en se contentant d’une satisfaction de forme pour mieux céder sur le fond des choses. Il n’en était pas moins vrai que le règlement des indemnités à la somme de 75 millions était une importante victoire pour la politique américaine. Malgré les fautes de détail qui avaient pu être commises, ce grand résultat avait été obtenu par l’administration du général Grant, et l’opinion publique, qui ordinairement ignore les causes et ne juge que les résultats, n’avait pas lieu d’en être mécontente.

Cependant telle est en ce pays l’insatiable exigence de l’opinion publique à l’égard des nations européennes, que le succès obtenu à Genève par la diplomatie du général Grant parut presque insuffisant. Les uns cherchèrent à en tirer parti en faveur du candidat républicain, et présentèrent ce résultat comme une preuve nouvelle de sa supériorité politique ; les autres au contraire s’en plaignirent comme d’un échec grave, d’une défaite pitoyable et ignominieuse pour la grande république. La véritable opinion du pays, sans adopter aucun de ces jugemens excessifs, inclinait plutôt vers le dernier. Bien loin de ressembler à de l’orgueil satisfait, l’impression générale était que l’arbitrage avait tourné au détriment des États-Unis. Il en fut de même pour la décision rendue quelque temps après par l’empereur d’Allemagne au sujet des frontières maritimes des possessions britanniques sur la côte occidentale de l’Amérique. Quoique l’empereur eût donné raison aux prétentions des États-Unis, et leur eût attribué l’entière possession de l’île San-Juan, occupée conjointement depuis 1859 par les deux puissances, l’opinion publique américaine ne daigna pas considérer cette décision comme un succès ; suivant son usage, elle ne vit dans le triomphe des prétentions nationales qu’un acte de justice inévitable dont il n’était pas besoin de savoir gré au gouvernement qui les avait fait prévaloir.

C’était sur d’autres moyens que les partis comptaient pour réchauffer l’enthousiasme populaire. Dès le début de la campagne