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après de longs jours de prospérité, aura la douleur de se survivre à lui-même. Avec un sentiment de patriotisme que la France ne saurait trop honorer, la municipalité messine vient de dresser le bilan de toutes les gloires locales, comme pour montrer à l’Allemagne ce qu’était Metz avant la conquête et humilier le présent par le contraste du passé. On a réuni dans un même musée des souvenirs archéologiques, des collections de médailles, de pierres, d’insectes, de plantes, d’animaux, et gravé sur des tables de marbre, avec les titres des sociétés savantes du pays messin et la mention des prix remportés par elles dans de nombreux concours, les noms de tous les hommes célèbres qu’a produits la cité. On dirait qu’avant de mourir la noble ville compose elle-même l’inscription funéraire qui décorera sa tombe.

Metz n’a pour nous qu’une importance militaire, répondent sans embarras quelques Allemands ; nous n’avons exigé cette place que pour fermer aux Français le chemin de l’Allemagne et nous ouvrir la route de Paris. De là nous jetterons, quand nous le voudrons, une armée dans les plaines de la Champagne sans rencontrer entre nous et votre capitale un seul obstacle naturel ; nous couvrons notre frontière et nous découvrons la vôtre. C’est là tout le secret de la conquête de Metz ; notre ambition ne va pas plus loin. Que Metz ne soit plus après cela qu’une forteresse, qu’une vaste caserne entourée de canons, que l’industrie y périsse, que les arts s’y éteignent, que la vie s’y arrête, peu nous importe ; c’est l’affaire des habitans, non la nôtre. Notre but est atteint, nous ne voulions qu’une position stratégique, nous l’avons ; bien habile ou bien hardi sera celui qui maintenant nous en dépossédera.

Il n’en est pas de même de Strasbourg, dont les feuilles officieuses de l’Allemagne ne parlent qu’avec sollicitude ; pour cette fille bien-aimée, que ne ferait pas la mère-patrie, trop longtemps privée d’elle ! N’est-ce pas afin de la rendre plus heureuse et plus florissante, pour y effacer jusqu’aux derniers vestiges de la barbarie française, qu’on a commencé par détruire à coups de canon une partie de la ville avant de l’annexer tout entière ? Grâce à la fraternelle habileté des artilleurs allemands, la voilà qui sort maintenant rajeunie et renouvelée de ses ruines ; les magnifiques indemnités accordées par l’Allemagne aux propriétaires des maisons détruites leur permettent d’élever des palais à la place des masures qu’ont brûlées à dessein quelques obus intelligens. Le faubourg National, le faubourg de Saverne, le faubourg de Pierre, vont maintenant lutter d’élégance avec les plus beaux quartiers de Berlin. Strasbourg, amoindri par la France, entrera sous le drapeau prussien dans une ère de prospérité que les cités françaises n’ont jamais