Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des conditions analogues à celles dont j’ai parlé ; 2 médecins, 40 employés, dont 7 sœurs de Saint-Joseph, veillent sur eux ; c’était un dimanche et nul travailleur aliéné n’était aux champs. L’idée première qui a dirigé la construction de Ville-Evrard n’ayant point été suivie, il se trouve que diverses modifications sont nécessaires pour que l’établissement puisse rendre les services qu’on lui demande. Primitivement ce devait être une maison de convalescence, de sorte qu’on a évité avec soin tout ce qui rappelait la réclusion. Les murs d’enceinte sont trop bas, si bas que de la route et des champs voisins on plonge littéralement dans les jardins, et l’on voit tout ce qui s’y passe ; de plus les préaux particuliers des cellules réservées aux femmes agitées sont peu éloignés de la berge du canal de Chelles. Les bons paysans, les Parisiens désœuvrés qui le dimanche traînent leur ennui à travers champs, excitent ces malheureuses pour se distraire et les exaspèrent parfois jusqu’à la fureur ; une grille mal placée, ouvrant sur la campagne, permet aux cabaretiers du voisinage, qui ne s’en font pas faute, de passer de l’eau-de-vie aux infirmiers et parfois même aux malades. Le peu d’élévation des murs rend en outre les évasions très fréquentes. C’est là un inconvénient auquel il est facile de remédier, et je ne vois pas alors ce qui manquera à Ville-Evrard pour devenir un établissement moins bien situé, mais aussi bien aménagé que Vaucluse.

Sainte-Anne a coûté 9,504,705 francs, Vaucluse 5,151,001, Ville-Evrard 6,135,352, mais dans ce dernier chiffre il faut compter les dépenses de constructions fort importantes qui ont été faites dans un vaste parc séparé de l’asile par la route. C’est une série de pavillons isolés ; ils n’ont pas encore été habités et constituent une maison de traitement pour les aliénés, qui serait aux asiles ce que la maison municipale de santé est aux hôpitaux. Ce premier projet a été abandonné, mais les bâtimens restent ; ils sont neufs, de bonne apparence, placés au milieu d’un jardin charmant, bien abrités, d’une surveillance facile ; il convient de les utiliser et de mettre là le service des idiots et celui des épileptiques, qui encombrent Bicêtre et la Salpêtrière sans utilité pour la science, sans profit pour l’administration. J’ai parlé ailleurs de ces deux maladreries, qu’il faudrait avoir le courage de jeter bas, si on pouvait imposer un tel sacrifice à l’assistance publique, qui, ménagère du bien sacré des pauvres qu’elle administre avec une irréprochable économie, fait effort pour tirer le meilleur parti possible des anciennes dépendances de l’hôpital général, dont elle a hérité. Les vieilles maisons, comme les vieilles gens, tiennent à leurs mauvaises habitudes, et dans les cellules des aliénés de Bicêtre j’ai trouvé encore l’immonde baquet en bois, qui est un foyer d’infection permanente.