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vénale dix fois plus grande. Ce que nous prétendons dire seulement, c’est que la tradition de ces dons en bloc, de ces générosités énormes, fondée par Clément et par Gaignières au commencement du XVIIIe siècle, a eu jusqu’à présent pour dernier représentant le digne et patient érudit qui voulut à son tour consacrer ses longs travaux par un trait éclatant de sollicitude pour les études à venir et de munificence patriotique. Qui aurait cru alors que ces nouveaux trésors, en augmentant la somme des richesses accumulées au département des estampes, augmenteraient aussi les inquiétudes du public appelé à en profiter et les douloureuses préoccupations de ceux qui en avaient la garde ? Encore quelques années, et la collection Hennin comme le reste, comme ces milliers de volumes remplis des plus belles œuvres de l’art, allait être menacée de destruction par les feux qu’allumeraient dans Paris les canons d’un ennemi prêt à lancer la mort jusque sur les choses qui forment en quelque sorte le patrimoine du genre humain.

N’y avait-il là qu’une crainte imaginaire ? Ce qui venait de se passer à Strasbourg, le bombardement systématique de la bibliothèque et du musée, ne justifiait que trop les alarmes, et l’on pouvait sans calomnie présumer que l’expérience qui avait si bien réussi sur les plus nobles édifices d’une autre ville serait ici renouvelée au premier jour. Aussi, dès le commencement du mois de septembre 1870, des mesures étaient-elles prises à l’intérieur de la Bibliothèque pour préserver du danger, pour lui disputer tout au moins les inappréciables monumens de la science et de l’art que contient ce grand établissement. A ne parler que du département des estampes, une partie de ce qu’il possède fut mis à l’abri des obus dans un souterrain ; mais qu’était ce moyen restreint de salut en comparaison des périls auxquels l’ensemble des collections était condamné à rester exposé sur place ? D’ailleurs, en prétendant sauver ainsi quelques-uns des recueils les plus précieux, ne courait-on pas le risque de les retrouver un jour irréparablement altérés par l’humidité ? Pour tout le reste, il fallait se contenter des précautions, hélas ! insuffisamment rassurantes, auxquelles les circonstances et les lieux permettaient de recourir. On garnit les fenêtres des galeries de volets en tôle et de sacs remplis de terre, on se munit de pompes et d’ustensiles de toute sorte pour arrêter, au moment venu, les progrès d’un incendie, on organisa le personnel en brigades de surveillance et de service qui fonctionnèrent nuit et jour. Rien ne fut omis de ce qui semblait, en cas de malheur, présenter quelque chance d’un sauvetage au moins partiel ; mais quelle amertume dans ces lugubres soins, quelles angoisses dans l’attente d’un désastre qui pouvait d’un instant à l’autre anéantir l’œuvre de tant de