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constater ensuite la présence de ces pesmas dans les manuscrits de M. Vercovitch. C’est ce qui a été fait ; on peut donc dire aujourd’hui avec certitude qu’il existe en Macédoine un centre de poésies populaires jusqu’ici inconnues et cependant si abondantes qu’en quelques années il a permis de former un recueil de plus de quatre-vingt-dix mille vers. Ce qui a justifié tout d’abord les défiances qui ont accueilli en Europe les chants du Rhodope, c’est l’enthousiasme passionné avec lequel les Slaves de Serbie parlaient de ces poèmes ; ce sont aussi les prétentions qu’ils avaient de trouver dans ces compositions ce qui n’y a jamais été, ce qui ne pouvait pas y être. M. Vercovitch en particulier rencontrait à chaque pas dans ces chants des traditions qu’il croyait venir de l’Inde sans altération ; il n’inventait pas les textes, mais il en transformait le sens. Ces poésies n’ont pas le genre d’intérêt que l’auteur de la découverte y attachait ; elles en ont un autre qu’il paraît avoir complètement dédaigné : elles peignent une civilisation primitive, elles s’inspirent d’une mythologie slave à bien des égards particulière, elles sont enfin tout ce que nous possédons pour étudier le passé d’une des races les plus nombreuses de la Turquie d’Europe.

Le jour où le royaume de Grèce fut fondé, il sembla que l’Europe dût tout attendre de cette création. Seul en Orient, ce pays avait enfin la liberté que réclamaient en vain tant d’autres populations moins heureuses. Son indépendance était assurée pour toujours, au point que supposer une atteinte, si minime qu’elle fût, portée à l’intégrité de la Grèce, eût paru, alors comme aujourd’hui, une hypothèse impossible. Dans de telles conditions, le nouvel état ne devait avoir qu’une politique, montrer ce que devenaient en Orient les provinces chrétiennes dès qu’elles étaient soustraites à la domination ottomane. Il fallait que l’antithèse fût complète, qu’on vît d’un côté au nord, en Thessalie, en Épire, dans toute la Turquie, la misère, le brigandage, l’injustice, les laideurs qu’entraîne l’esclavage, — de l’autre côté, dans la Grèce du nord, en Attique, dans le Péloponèse, dans les Cyclades, la prospérité, la sûreté de vie, la bonne police, des caractères sérieux et honorables. L’Europe attendait beaucoup. — A des espérances trop enthousiastes ont succédé des reproches qui n’ont pas toujours été très justes, et qui cependant ont nui au progrès de l’hellénisme. La prospérité matérielle de la Grèce ne s’est pas développée comme on le pensait. En 1830, quand la lutte eut enfin cessé, la population du royaume avait sensiblement diminué ; on croyait qu’elle s’augmenterait avec rapidité, que les sujets du sultan voudraient chercher dans un pays plus heureux la liberté que la Porte leur refusait ; il n’en a pas été ainsi. L’émigration a été nulle de Turquie en Grèce ; au contraire des