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du gouvernement peut souffrir dans sa personne de toutes les vivacités de la discussion. De cette façon, tout se passerait au mieux. La droite, qui se croit la majorité, ferait et déferait des ministères, elle placerait et déplacerait les préfets, elle distribuerait les fonctions. M. Thiers resterait à la présidence de Versailles, où on lui laisserait, tant qu’on ne pourrait faire mieux, le rôle tranquille et inactif d’un simulacre du souverain constitutionnel. C’est ingénieusement combiné et imaginé. On ne se souvient pas par malheur que nous vivons dans des circonstances très extraordinaires, que le pouvoir même de M. Thiers n’est point d’une nature ordinaire, qu’il est né de la situation la plus cruellement exceptionnelle, qu’il l’exerce nécessairement dans des conditions où c’est l’homme qui fait l’autorité, la force morale, le crédit du gouvernement. Qu’on demande à M. le président de la république d’aller un peu moins souvent à l’assemblée, de ne point s’engager dans toutes les luttes, rien de plus simple, et ce n’est pas là sans doute ce qui serait une difficulté. L’exclure absolument, d’une façon systématique, ce n’est pas seulement lui infliger une sorte d’injure personnelle, c’est méconnaître la nature des choses. Lorsque M. Thiers a été chargé du gouvernement dans les circonstances les plus terribles, pourquoi l’a-t-on choisi ? Est-ce parce qu’il était un descendant de Robert le Fort ou de Charlemagne ? Non, apparemment ; on l’a choisi pour ses lumières, pour son expérience, pour son aptitude personnelle à la direction des affaires publiques. On l’a nommé parce qu’il était M. Thiers, l’homme le mieux fait pour représenter la France dans de si effroyables épreuves, et ce rôle qui lui a été confié par les événemens autant que par le vote de l’assemblée, il l’a rempli depuis deux ans sans marchander son dévoûment et son courage. Et maintenant, après qu’il a été pendant deux ans à la peine et au combat, dirigeant tout, activant tout de son ardeur, travaillant plus que tout le monde, on viendrait lui demander de cesser d’être lui-même, de se retirer de la discussion des affaires publiques ! Il peut justement répondre qu’il n’a pas été nommé pour cela. Croit-on qu’on aurait relevé l’honneur de la tribune française parce que M. Thiers n’y paraîtrait plus par sentence du parlement ? pense-t-on qu’il suffise de décréter aujourd’hui la création d’un ministère responsable pour trancher toutes les difficultés ?

Ce n’est point seulement en effet une question personnelle. On soulève légèrement des problèmes bien plus complexes, et ici apparaît peut-être un peu trop l’arrière-pensée à laquelle ou obéit. Cette responsabilité ministérielle qu’on invoque aujourd’hui et dont on se fait une arme d’opposition, oui sans doute, c’est un principe incontesté. Un ministre responsable, c’est un des ressorts nécessaires d’un régime libre ; mais ce qu’on oublie, c’est que la responsabilité ministérielle n’est qu’un des ressorts de la grande machine parlementaire : elle a pour correctif