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et pour contre-poids le droit de dissolution de l’assemblée par le chef de l’état. Sans cela, on va droit à l’omnipotence, à la dictature du parlement ; l’assemblée devient d’un seul coup une convention. Jusqu’ici, on avait éludé ce danger avec sagesse, avec prudence, en créant par une sorte de fiction un pouvoir qui n’était point en droit un pouvoir distinct, mais qui en avait en fait les prérogatives, le caractère, et qui, par la supériorité de l’homme chargé de l’exercer, en avait aussi l’indépendance. Dans ce vague sagement ménagé, on pouvait se faire illusion et croire à un régime à demi régulier. Aujourd’hui on a divulgué le secret, on a mis à nu la faiblesse de cette situation, et en séparant la responsabilité ministérielle, qu’on revendiquait exclusivement, des autres questions constitutionnelles, on laissait trop voir qu’on ne reculait plus devant cette omnipotence d’une majorité dictatoriale aspirant à constituer un gouvernement de parti après avoir renversé le pouvoir modérateur qu’elle trouvait devant elle.

Sait-on à quoi ressemble cette étrange campagne qui vient de s’engager dans l’assemblée de Versailles ? Par sa direction générale, par ses mots d’ordre et même par bien des détails, elle a la plus singulière analogie avec cette autre campagne de la majorité des introuvables en 1815 et en 1816. Toute proportion gardée dans la mesure des opinions, c’est au fond la même chose. Il y a malheureusement sur un point d’abord une ressemblance cruelle, c’est qu’alors comme aujourd’hui l’étranger était sur notre sol, il assistait en témoin intéressé à nos divisions, et il n’était pas toujours sans inquiétude ; mais ce n’est pas la seule analogie. À cette époque aussi, il y avait une chambre formée sous l’empire d’une situation exceptionnelle, composée surtout de gentilshommes de province très royalistes, ardens conservateurs, qui représentaient leur parti plus que le pays. Ce qui vient de se passer depuis quinze jours a déjà son histoire dans une lettre écrite par Maine de Biran, un pur royaliste pourtant, à la veille de la session de 1816. « Vous me demandez si nous reviendrons plus sages que nous ne sommes partis. Je vous réponds sans hésiter que nous reviendrons plus exaltés et plus fous. Je vois ici des membres de notre majorité ; vous ne vous faites aucune idée de leurs prétentions, de leur ton de supériorité… Il est temps de purger la France, de faire disparaître les traces de la révolution ! La chambre des députés est appelée à cette grande destination… » En ce temps là aussi, M. de Salaberry réclamait impérieusement des épurations administratives, en se plaignant qu’on laissait des révolutionnaires dans toutes les fonctions, et tout comme M. Batbie on disait : « A côté de l’immense majorité, il y a une minorité turbulente, factieuse, ennemie des lois, ennemie du repos, ennemie d’elle-même ; c’est contre cette minorité qu’il faut protéger la majorité… » Auprès de ces exaltés de conservation cependant il y avait un gouvernement sensé, modéré, qui ne partageait pas leurs