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inexpérimentés ; mais, en attendant que cette expérience soit faite, bien d’autres preuves s’offrent pour ainsi dire d’elles-mêmes en faveur de la thèse de M. Wallace.

La forme et la structure des nids d’oiseaux dépendent beaucoup plus qu’on ne croit des conditions extérieures, et par suite varient dès que ces conditions viennent à changer. Chaque espèce emploie les matériaux qui sont à sa portée, choisit les situations les plus en harmonie avec ses habitudes, et la forme des nids trahit souvent des intentions très nettes qui ne se comprennent guère sans une certaine dose de discernement. Le troglodyte, qui vit dans les haies et les bosquets bas, fait en général son nid avec la mousse où il a l’habitude de chercher des insectes ; mais il varie parfois, et s’accommode de plumes et de foin lorsqu’il peut s’en procurer. Le corbeau, qui se nourrit de chair morte, qui hante les pâturages et les garennes, choisit la laine et la fourrure ; l’alouette fait son nid dans un sillon avec des tiges sèches entrelacées d’herbes fines qu’elle ramasse tout en cherchant des vers ; le martin-pêcheur utilise les arêtes des poissons qu’il a mangés. Le flamant aux longues jambes et au large bec, qui arpente les bas-fonds humides, se maçonne avec de la boue un siège conique où il dépose ses œufs, afin de les couver à son aise et de les mettre à l’abri de l’eau.

En quoi ces animaux, qui tirent parti des circonstances données en vue d’un but parfaitement déterminé, restent-ils en arrière du Patagon, qui se construit un abri grossier avec du feuillage, ou du nègre africain qui se creuse un trou dans la terre ? On dit que l’homme fait des progrès, mais cela n’est pas vrai d’une manière absolue. Quel progrès trahissent les huttes en feuilles de palmier des sauvages de l’Amérique, la tente de l’Arabe, la cabane en gazon de l’Irlandais, la masure de pierres du paysan de la Haute-Ecosse, qui semblent contemporaines des âges primitifs ? L’architecture domestique reste stationnaire, si elle est conforme à des goûts et des habitudes qui ne peuvent changer, parce que les conditions physiques qui les déterminent sont toujours les mêmes. Parfois l’habitude, une fois prise, résiste encore à un changement des conditions extérieures. Les Malais construisent de temps immémorial leurs maisons sur pilotis, à la manière des habitations lacustres de la vieille Europe, et ce mode de construction est si bien entré dans les mœurs que les tribus qui ont pénétré dans l’intérieur des iles et se sont établies dans des plaines arides ou sur des montagnes rocheuses continuent de bâtir leurs demeures prudemment au-dessus du sol. Et pourtant personne ne s’avise de voir dans ces habitudes invétérées un effet de l’instinct ; on n’imagine certes pas qu’un enfant arabe élevé en France éprouverait le besoin de se loger sous une tente de peaux, ou qu’un jeune Malais transporté en Europe y introduirait la construction sur pilotis. On explique les procédés invariables des