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Paris les désastres de Strasbourg, si cette vie menacée de plus près encore par les incendiaires de la commune sembla un instant condamnée à s’anéantir dans les flammes qui dévoraient, à quelques pas de là, les Tuileries, le Palais-Royal et la Bibliothèque du Louvre, — le souvenir de ces affreux momens est moins cruel peut-être pour ceux qui les ont traversés que la joie n’a été profonde en retrouvant debout les nobles murs qu’on avait crus promis à la ruine. Maintenant que le péril a disparu, maintenant que, pour l’honneur de la France et le bien de tous, ces archives de l’art et du génie humain ont été rendues à l’étude, n’est-il pas opportun de rechercher par quelle série de généreux efforts, par quels actes de libéralité, de zèle scientifique ou de prévoyance, tant de trésors ont pu être rassemblés et nous ont été transmis ?

Un résumé de l’histoire du département des estampes semblera d’ailleurs d’autant moins superflu que, sauf quelques notices très succinctes, aucun travail sur ce sujet n’a été publié encore. Lors donc que certains détails, certains rapprochemens nécessaires de dates ou de chiffres viendraient à compliquer parfois ou à ralentir le récit, il y aurait, nous l’espérons, dans les informations générales qu’il comporte, assez de nouveauté pour justifier notre tentative, assez d’utilité au fond, de grandeur même, pour intéresser chez chacun de nous l’esprit de justice et la fierté patriotique au moins autant que la curiosité.


I

Les collections du département des estampes, qui se composaient vers la fin du XVIIe siècle de 125,000 pièces environ, comprennent aujourd’hui plus de 2 millions 200,000 pièces, conservées dans 14,500 volumes et dans 4,000 portefeuilles. Différent, par la multiplicité même des élémens qui le constituent, des autres grandes collections publiques formées en Europe, le quatrième département de notre Bibliothèque nationale n’est pas seulement un musée de gravure dans lequel se trouvent réunis les plus beaux spécimens de l’art et les témoignages de ses progrès successifs. Bien que les richesses qu’il possède en ce genre puissent suffire pour lui assurer la prééminence sur les cabinets des Pays-Bas et de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la Russie, le nombre et l’abondance des séries relatives à la topographie ou à l’histoire, à l’archéologie ou à l’ethnographie, aux sciences naturelles ou aux enseignemens techniques, la variété en un mot des ressources qu’il offre aux travailleurs achève de lui donner une importance exceptionnelle. Avec son