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disperser tous les rassemblemens français. Dès les premiers jours d’octobre, il se mettait en marche effectivement en se faisant précéder d’un de ses chefs de brigade, le général Degenfeld, et avec la pensée de gagner d’abord la vallée de la Meurthe. Certes si notre pauvre armée de l’est eût été une véritable armée, si même la guerre de partisans eût été à demi organisée, Werder aurait pu expier la témérité de cette marche aventureuse et difficile à travers des régions hérissées d’obstacles. Il aurait fallu lui disputer le terrain. Était-ce possible ? Sans doute on combattait, et même on combattait assez sérieusement en pleines Vosges, à Raon-l’Étape, à Étival, à La Bourgonce, aux Rouges-Eaux, à Brouvelieures, dans la direction de Saint-Dié et d’Épinal. Les Allemands ne marchaient qu’avec peine, ayant affaire tantôt à des détachemens réguliers, tantôt aux francs-tireurs, qui les harcelaient. En réalité, c’était moins une campagne qu’une suite d’engagemens quelquefois meurtriers, presque toujours malheureux ou inefficaces, si bien que le général Cambriels, voyant son armée fondre par les fatigues, par la démoralisation et par les revers, se croyait obligé de ramener au plus vite ses soldats jusque sous le canon de Besançon. C’était la « grande trahison » que les stratégistes de l’est, — car il y avait des stratégistes partout, à Besançon comme à Tours, — reprochaient en ce temps-là au général Cambriels. Évidemment le commandant de l’armée des Vosges ne s’était retiré que parce qu’il n’avait pas pu faire autrement.

Cette retraite, nécessaire sans doute, n’en était pas moins désastreuse ; elle livrait les Vosges. Les Allemands pouvaient s’avancer sans difficulté : déjà ils touchaient à la Saône, à Vesoul, et un instant même ils avaient eu l’idée de se mettre à la poursuite de Cambriels, qu’ils atteignaient sur l’Ognon ; mais là cette malheureuse armée de l’est se retournait vers Cussey et Châtillon-le-Duc pour livrer un dernier et sanglant combat, après lequel elle se repliait définitivement au-delà du Doubs, sous Besançon. Le général de Werder n’en demandait pas davantage ; il ne pouvait avoir la pensée d’attaquer Besançon, et il se considérait comme assuré momentanément de l’immobilité des forces de Cambriels. Libres désormais, n’ayant plus rien à craindre du côté du Doubs et se sentant en mesure de maintenir leurs communications des Vosges, les Allemands continuaient leur mouvement sur la Saône, jusqu’à Gray, où ils arrivaient vers le 24 octobre. C’était le moment, il est vrai, où une force nouvelle commençait à se montrer dans l’est. Garibaldi venait d’arriver à Dôle pour prendre un commandement ; mais ce n’était pas Garibaldi, avec quelques contingens d’aventure à peine rassemblés, qui pouvait arrêter les Allemands. Ce qui pou-