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vait encore moins les inquiéter, c’était un détachement de mobilisés qui était sorti de Dijon sous les ordres d’un président du comité de défense élevé au grade de colonel, pour marcher à leur rencontre sur la Saône. Ces braves gens devaient avoir infailliblement beaucoup de bonne volonté ; leur chef, meilleur républicain sans doute qu’homme de guerre, entendait la stratégie à sa façon. Un matin, dit-on, il prenait pour une batterie de mitrailleuses prussiennes deux charrues oubliées sur un coteau, et il se hâtait de battre en retraite après avoir fait sauter le pont de Pontaillier. Avec des adversaires de ce genre, les Allemands n’avaient pas à se gêner, et, sans s’inquiéter des agitations qu’il entrevoyait autour de lui, dont il pressentait l’impuissance, le général de Werder prenait résolûment le parti de pousser jusqu’à Dijon ; où deux de ses brigades aux ordres du général de Beyer entraient le 31 octobre après un violent combat suivi d’une capitulation. Ainsi, en trente jours, les Allemands avaient forcé les Vosges, envahi les contrées de la Saône et occupé la capitale de la Bourgogne, où ils allaient camper en maîtres durs et implacables pendant deux mois.

Un fait à remarquer, c’est que ce n’était point là en réalité l’itinéraire primitivement tracé par l’état-major de Versailles au xive corps. Le général de Werder n’avait point la mission d’envahir la Bourgogne. Il devait, en pénétrant dans les Vosges, aller à Épinal, de là se replier dans la direction de Chaumont, Châtillon, Troyes, et gagner la Seine, désarmant les populations sur son chemin, rétablissant les communications interrompues. Ce programme s’était modifié au courant des opérations de tous les jours. La nécessité ou l’espoir d’en finir avec notre armée de l’est avait attiré les Allemands vers la Saône. Une fois là, ils s’étaient avancés, ils avaient fini par aller jusqu’à Dijon. À ce moment, la capitulation de Metz, en aggravant pour la France toutes les conditions de la guerre, venait fixer définitivement dans l’est le xive corps allemand et imprimer à ses opérations, à son rôle, un caractère nouveau. Jusque-là, la 1re et la 4e division de réserve étaient restées en Alsace avec leur mission spéciale et indépendante ; désormais elles se rattachaient au xive corps sous les ordres de Werder. On n’avait pas eu encore le temps, on n’avait peut-être pas la pensée d’attaquer Belfort ; maintenant on se disposait à l’assiéger. C’était le général de Treskow qui, avec la 1re division de réserve, était chargé de l’investissement. Le général de Schmeling de son côté, après avoir pris les places de la Haute-Alsace, Schelestadt, Neuf-Brisach, devait laisser une partie de ses troupes de la 4e division de réserve à Treskow autour de Belfort, et avec le reste se rapprocher de la Saône, aller prendre position à Gray. Le général de Werder lui-