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d’invincibilité entre ses compagnons de guerre, de se croire l’inventeur de nouveaux « principes techniques et moraux » par lesquels il a expliqué ses succès. La vérité est qu’il ne montrait ni plus de zèle, ni plus d’habileté, ni plus de génie militaire que bien d’autres ; seulement il avait une place suffisamment forte, il s’y est enfermé et il a fait son devoir, — heureux certainement de n’avoir eu à se rendre que sur un ordre du gouvernement lui-même, après l’armistice, lorsqu’il n’y avait plus d’espoir. Voilà la vérité.

Le colonel Denfert du reste n’avait rien négligé pour se préparer aux événemens. La place de Belfort, située sur la petite rivière la Savoureuse, qui vient des Vosges, et sur le chemin de fer de Paris à Mulhouse, est entourée, outre la vieille enceinte de Vauban, d’un certain nombre d’ouvrages extérieurs plus modernes : à l’ouest, le fort des Barres, appuyé au bastion des faubourgs sur la rive droite de la Savoureuse, et complété un peu plus au midi par la redoute de Bellevue, — au sud-est, sur la rive gauche, les Hautes-Perches et les Basses-Perches, — au nord-est les forts de la Miotte et de la Justice reliés par une série d’escarpemens formant une sorte de camp retranché, tout cela sans compter le château qui domine la ville en étendant ses feux sur les environs. Plus loin sont des positions qui peuvent être utilisées pour la protection de la place : la forêt d’Arsot vers le nord, — au-delà des Barres-le-Mont, le massif du grand Salbert, au-delà des Perches les hauteurs boisées de Bosmont, le village de Danjoutin, qui est dans l’angle des chemins de fer de Mulhouse et de Besançon, sur la route d’Altkirch, — à l’est le village de Pérouse, le bois de la Perche. Le colonel Denfert n’entendait pas se renfermer dès le premier jour dans ses fortifications, il se proposait d’étendre son action aux positions avancées, de façon à disputer le terrain et à tenir le plus possible l’ennemi à distance. Pour défendre cet ensemble, il avait une garnison de 16,000 hommes, fort mêlée il est vrai, composée de deux ou trois bataillons d’infanterie de marche, puis de mobiles inexpérimentés venus un peu de toutes parts, du Haut-Rhin ou du Rhône, de la Haute-Saône ou de Saône-et-Loire et même de la Haute-Garonne. Il était secondé surtout par quelques officiers, les capitaines du génie Thiers, Brunetot, Degombert, le capitaine d’artillerie de La Laurencie, qui étaient, comme lui, attachés depuis quelque temps à la place, et qui la connaissaient comme lui. Il avait enfin un armement de 300 bouches à feu, un dépôt de munitions assez abondant, — jusqu’à des boulets du temps de Vauban, d’un médiocre usage aujourd’hui, il est vrai, — un approvisionnement considérable, de la farine et du riz pour plus de cent quatre-vingts jours, de la viande fraîche pour cent cinquante jours, sans parler de l’approvisionnement privé des