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Certainement c’était assez puéril de rappeler à un chef d’armée qu’il fallait « avoir de la suite » et se hâter. Bourbaki le savait bien, et s’il ne marchait pas avec plus de rapidité, s’il n’entrait décidément en action que « quinze jours après le départ de Bourges, » selon la remarque de M. de Freycinet, c’est qu’on ne lui avait pas préparé les moyens d’aller plus vite ; c’est que dès la première étape, à Dôle, on se trouvait réduit à s’avouer que les vivres manquaient, qu’on avait « de l’avoine pour un jour et demi, » qu’on allait être « arrêté, faute de nourriture, » dans un pays désolé par l’invasion, qui n’offrait plus les ressources nécessaires. Le plan du général Bourbaki semblait du reste assez simple et conforme à la nature de ses troupes, encore peu aguerries, aussi bien qu’à sa situation, qui l’obligeait à se tenir rapproché du chemin de fer de Besançon, dont il avait besoin pour vivre. Ce plan consistait à s’avancer par la vallée de l’Ognon, entre la Saône et le Doubs, à manœuvrer sur le flanc de l’ennemi de façon à le faire reculer en menaçant sa retraite et en marchant sur Belfort, où il y aurait sans doute à livrer une bataille décisive.

C’était le plan qu’on exécutait en se portant d’abord de Chagny et de Châlon à Auxonne et à Dôle, puis le 4 ou le 5 janvier à Pesmes et à Marnay sur l’Ognon, puis enfin à Villersexel, position d’une certaine importance comme point d’intersection des routes de Vesoul à Montbéliard, de Lure à Besançon. On forçait ainsi l’ennemi à se retirer successivement de Dijon, de Gray, même de Vesoul. Si le général Bourbaki marchait sans le savoir à une terrible aventure, ce n’était point à coup sûr parce qu’il n’avait pas calculé ses mouvemens ; il agissait si peu à la légère que le 8 janvier, arrivé à Montbozon, il pouvait adresser à Chanzy une dépêche où il précisait avec une parfaite netteté ce qu’il s’était proposé de faire et ce qui se passerait sans doute le lendemain. « J’ai quitté Bourges, disait-il, pour faire évacuer Dijon, Gray, Vesoul et lever le siège de Belfort. Les garnisons de ces deux premières villes, menacées de se voir couper leur retraite, se sont retirées sans combat. Je continue l’exécution de mon programme… Il peut se faire que notre première rencontre sérieuse ait lieu à Villersexel… » C’est là en effet qu’allait éclater le premier choc. Le général de Werder, qui avait été obligé de se replier jusqu’à Vesoul, et qui ne laissait pas que de se sentir en péril, Werder croyait nécessaire de tenter un effort, ne fût-ce que pour troubler la marche de cette armée qui s’avançait, et le 9 janvier, avec la division Schmeling et des forces de la division badoise, il se portait sur Bourbaki, contre lequel il allait se heurter à Villersexel même.

Occupé par les Allemands, repris par les Français, toujours disputé avec fureur, le malheureux village était, de neuf heures du