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richesses du même genre conservées dans les bibliothèques ou dans les musées étrangers[1].

Le cabinet des estampes une fois fondé, Colbert n’était point homme à le perdre de vue et à négliger les occasions d’en favoriser l’accroissement. Lui qui ne dédaignait pas, pour tout ce qui intéressait la Bibliothèque du roi, de descendre aux détails matériels les plus humbles, aux prescriptions les plus minutieuses, lui qui écrivait à un voyageur dans le Levant, M. de Monceaux, pour le charger de « faire recherche de beaux maroquins dont les peaux, vertes ou incarnates, soient grandes, en sorte qu’on puisse prendre commodément dans chacune la reliure de deux grands livres in-folio, » — comment se serait-il jugé quitte envers le roi, envers le pays et envers lui-même par l’acquisition accidentelle pour ainsi dire d’une collection privée ? Comment n’aurait-il pas puisé dans ce premier succès un encouragement à poursuivre sur le terrain de l’art les conquêtes qu’il travaillait sans relâche à étendre dans le domaine littéraire ou scientifique ?

Les choses néanmoins étaient de ce côté plus difficiles et les occasions plus rares que lorsqu’il s’agissait de doter la Bibliothèque d’un supplément de livres ou de manuscrits. Bien peu d’estampes anciennes se trouvaient en France, où le commerce jusqu’alors n’avait eu nul intérêt à les introduire, et d’une autre part l’insuffisance en général de l’érudition iconographique ne permettait guère de tenter à l’étranger des recherches utiles. Il fallait donc, en attendant que la lumière achevât de se faire et la tradition de se définir, demander à la gravure contemporaine des œuvres dignes de figurer à côté de celles qui représentaient le passé dans la collection de Marolles. C’est ce à quoi Colbert s’employa avec cette hauteur et cette netteté de jugement qui caractérisent tous ses actes. Par ses soins, un des plus beaux monumens de l’art français au XVIIe siècle fut entrepris et en quelques années mené à fin. Le recueil célèbre qui, sous le titre de Cabinet du roi, contient tant de planches curieuses ou admirables, depuis les Carrousels et les Fêtes de Versailles jusqu’à la Sainte Famille de Raphaël gravée par

  1. L’inventaire des pièces acquises de l’abbé de Marolles, inventaire dressé au moment de la remise de ces pièces et conservé aujourd’hui au département des estampes, remplit quatre gros volumes in-folio. Il n’est pas besoin d’ailleurs de recourir à ce document pour apprécier l’importance des œuvres de l’art recueillies par l’abbé de Marolles et cédées par lui au roi. Une estampille apposée sur chacune d’elles et formée des lettres Mar. constate l’origine de ces précieuses pièces, parmi lesquelles on n’en compterait pas moins de 400 appartenant aux écoles italiennes du XVe siècle, et de 600 gravées en Allemagne à la même époque, sans parler de celles, — et ce sont pourtant les plus nombreuses, — que recommandent les noms des maîtres du XVIe siècle, Albert Dürer, Marc-Antoine, Lucas de Leyde, etc.