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lement exposés aux tortures de la soif. Au milieu des plaines sablonneuses croît une plante dont la racine volumineuse fournit encore une assistance aux gens affamés et altérés. Il est curieux de voir quelles maigres ressources peuvent suffire à des hommes qui ne connaissent pas de meilleure existence. On pourrait se croire loin de ce pays « abondamment pourvu de tout ce qui est nécessaire à la vie, » que vante justement l’ancien historien de Madagascar ; entre la belle et riche province d’Anossi et la triste province d’Androuï, le contraste est complet.

La petite caravane a dépassé les terres plus ou moins cultivées ; maintenant c’est la nature sauvage, elle est triste, on ne voit que de chétifs buissons épars. On entre dans une sorte de bois, la végétation est clair-semée ; c’est l’hiver, il n’y a plus de feuilles, elles ont été desséchées par le soleil bien avant la fin de l’été. Les plantes sont peu variées, mais plusieurs d’entre elles sont intéressantes ; elles n’existent pas dans les belles contrées de l’île. Les animaux sont rares, et quelques espèces n’ont d’autre patrie que les solitudes de la région méridionale de la Grande-Terre. Peu de papillons voltigent dans les clairières : en voici un pourtant qui est tout à fait joli et jusqu’à présent inconnu ; du même genre que l’aurore commun dans nos bois au printemps, il a les ailes antérieures teintes de pourpre violet[1]. Au bruit des pas, des reptiles se glissent sous les feuilles sèches ou disparaissent dans les buissons ; ce sont en général des animaux qu’on ne rencontre pas dans les régions fréquentées par les Européens. À peine le cri ou le battement de l’aile d’un oiseau se fait-il entendre ; néanmoins il est bon d’être attentif : des oiseaux qui se montrent en ces lieux n’ont jamais été vus ailleurs. C’est une petite fauvette d’un gris verdâtre en dessus, blanche en dessous, avec la queue d’un vert-olive[2] ; elle vole de buisson en buisson, et parfois un mâle et une femelle semblent ne pouvoir se quitter. En certains endroits, c’est un oiseau de la taille d’une petite tourterelle qui saute de branche en branche, guettant des insectes et des limaces ; on le reconnaît tout de suite pour être du genre du coucou bleu de Madagascar et d’une espèce particulière. Il est gris avec les pennes des ailes d’un vert doré, les grandes plumes de la queue d’un beau bleu, et il porte une huppe à reflets métalliques. La caille, le kibou des Malgaches, errante dans l’île entière, visite les déserts du sud, et dans cette région où l’homme manque de nourriture, elle est respectée ; jamais les Antandrouïs ou les Mahafales ne tuent un kibou. L’oiseau a sa légende,

  1. Anthocharis Zoe, Grandidier.
  2. L’espèce a été décrite par M. Grandidier sous le nom de Prinia chloropetoïdes.