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les côtes des régences barbaresques. Quant aux belligérans, ils ne s’accordaient de merci que lorsqu’ils y étaient contraints par la présence de quelque pavillon étranger. Il y avait donc, pour les navires de guerre qui composaient à cette époque la station navale du Levant, de nombreux griefs à redresser, de douloureuses infortunes à secourir. Les ressources dont nous disposions étaient malheureusement très restreintes, car la France se relevait à peine de ses ruines, et une rigoureuse économie présidait encore à ses dépenses. Nos capitaines se multiplièrent ; leur activité trouva le moyen de pourvoir à tout. Sur ce théâtre, où les pavillons de la Grande-Bretagne, de l’Autriche et des États-Unis flottaient à côté du nôtre, l’opinion publique ne tarda pas à nous attribuer le premier rang. Nous l’avions conquis par notre loyauté, par notre prudence, par notre fermeté aussi exempte d’emportement que de faiblesse. Il y a là, pour qui sait apprécier à leur juste valeur les services rendus, une des pages les plus honorables de l’histoire de la marine française ; c’est en outre une page presque contemporaine. À ce titre seul, j’éprouverais un vif plaisir à la raconter, car j’y retrouve les noms qu’a vénérés et aimés ma jeunesse. J’espère qu’un intérêt plus sérieux justifiera l’étude à laquelle je me suis livré, et qu’il en sortira pour la génération gardienne de notre avenir plus d’un profitable enseignement.

Une flatteuse confiance avait mis entre mes mains la correspondance de l’illustre amiral dont le rôle a été prépondérant dans les événemens de cette époque, et qui par sa résolution a décidé, au moment critique, du sort de la Grèce ; mais, bien que l’amiral de Rigny ait séjourné à diverses reprises dans le Levant, sur l’Aigrette du mois d’avril 1816 au mois d’octobre 1817, sur la Médée du mois de mai 1822 au mois de juin 1824, ses lettres n’ont toute leur portée et ne permettent d’embrasser l’ensemble de la situation politique qu’à partir des premiers jours de l’année 1825. J’ai cru qu’il était bon de remonter plus haut, de prendre les troubles à leur principe, la station à son origine. Le ministère de la marine a consenti à m’ouvrir ses archives. Je me suis ainsi trouvé en possession d’une masse de documens sous laquelle ma curiosité courait le risque de demeurer amplement satisfaite, mais ensevelie. Je m’en suis dégagé par un suprême effort. Peut-être aurais-je pu de ce long examen faire jaillir quelques clartés nouvelles sur des événemens qui à une autre époque ont passionné la France, et dont notre humeur mobile a méconnu, le jour où elle s’est ravisée, l’incontestable et légitime grandeur. Le moment n’eût-il pas été bien choisi pour essayer de refaire avec impartialité, et en s’appuyant sur des renseignemens certains, cette émouvante histoire ? Ce qui avait cessé de nous toucher, ce qui nous trouvait dédaigneux, scepti-