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I.

Âpres au gain, enclins à la piraterie, sans pitié pour les vaincus, sans respect pour la foi jurée, la plupart des chefs intrépides qui montaient les navires d’Hydra, de Spezzia, d’Ipsara ou de Caxos ont plus d’une fois mérité les malédictions des neutres et excité notre indignation ; mais les gueux de mer à qui les Provinces-Unies ont dû leur indépendance, les flibustiers terreur des galions espagnols, les aventuriers qui ont porté les noms de sir Francis Drake, de John Hawkins, de Martin Forbisher, tous ces grands patriotes que nous contemplons aujourd’hui à travers un prisme, étaient-ils plus humains, plus désintéressés, plus scrupuleux observateurs du droit des gens que les compagnons indisciplinés de Miaulis ? On peut fouiller les annales des temps passés et l’histoire des temps modernes ; on n’y découvrira pas de figure plus noble que celle de Canaris, « le brave des braves, l’âme la plus franche et la plus loyale qu’il fût possible de rencontrer[1]. »

L’inexpérience du compagnon de Paul-Émile n’a pas, comme l’a prétendu le poète, « fait tout le succès d’Annibal, » mais elle y a beaucoup contribué. La négligence des Turcs n’a pas moins favorisé l’audace des marins grecs. C’est là un point qu’il importe de ne pas perdre de vue. Lorsque les Hydriotes ont dû se mesurer avec les navires qui composaient le contingent algérien ou même avec ceux que leur opposait la flotte égyptienne, ils ont trouvé de tout autres conditions de combat. Si la flotte de Philippe II n’eût compté que des frégates de Dunkerque, les Anglais n’en auraient pas eu aussi aisément raison. On peut se montrer entreprenant sans danger avec un ennemi qui se défend mal, qui souvent même ne se défend pas. Cependant, si l’on veut se flatter d’imiter les Grecs dans leurs coups de main heureux, il faudra d’abord élever son cœur à la hauteur de leur héroïsme, car ils ont été héroïques, — je le prouverai par les témoignages les plus irrécusables.

Un écrivain anglais l’a fait remarquer avec raison : pendant longtemps, nous n’avons connu les habitans du Levant que par les portraits que nous en traçaient leurs rivaux commerciaux, — autant vaudrait dire leurs plus mortels ennemis. Il n’est pas surprenant que nous nous soyons habitués à les voir sous un jour peu favorable. Le ciel de la Grèce aurait-il donc perdu sa vertu et la plante humaine y aurait-elle dégénéré ? Ni les peintres ni les sculpteurs ne seront de cet avis. Plus d’une tête de palikare ne déparerait pas la

  1. Rapport du commandant Le Ray, aide-de-camp de l’amiral de Rigny (Milo, 22 septembre 1825).