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Santorin, où florissaient nos plus anciens établissemens religieux, à Syra, où une humble communauté réfugiée sur un pic solitaire ne se croyait pas encore assez défendue par sa pauvreté, et ne cessait d’épier de l’inaccessible asile qu’elle s’était choisi l’approche toujours redoutée des forbans.

Il y avait en effet plus d’un motif pour que nos vaisseaux, reparaissant au milieu de ces îles après une longue absence, y fussent les bienvenus. Le besoin d’une police maritime se faisait généralement sentir dans des mers que la flotte ottomane se bornait à parcourir une fois l’an, lorsqu’elle venait, du mois de juin au mois de septembre, recueillir le tribut payé par les insulaires. Les pirates avaient le champ libre pendant les deux tiers de l’année. Les côtes de l’Archipel n’avaient jamais été sûres, et il fut un temps où, sous prétexte d’y faire la guerre aux Turcs, les bandits de toutes les nations s’y donnaient rendez-vous. A l’issue des grandes luttes de l’empire, ce fut ailleurs que la piraterie cosmopolite alla déployer son drapeau ; elle choisit de préférence les canaux et les débouquemens des Antilles. Dans l’Archipel, on n’était point exposé à rencontrer de ces hardis croiseurs en haute mer, mais on n’était pas arrêté par le calme, aux abords surtout du cap Matapan ou du cap Saint-Ange, sans courir de sérieux dangers. Il y avait toujours dans ces parages quelque barque embusquée pour guetter les navires au passage. Dès que le signal convenu avait été donné, les laboureurs se hâtaient de quitter la bêche ou la charrue et redevenaient pirates pour avoir leur part du butin ; satisfaits de celui qu’ils pouvaient emporter, ils se contentaient généralement de dévaliser leur victime à la hâte. D’autres fois cependant l’expédition prenait un caractère plus sérieux ; le navire capturé était conduit dans quelque île écartée. Là on rançonnait de son mieux l’équipage, et l’on visitait le fond de cale à loisir. Les primats de l’île étaient trop heureux, si, se voyant en nombre, les brigands ne cédaient pas à la tentations d’opérer sur leur territoire une descente.

Cette basse piraterie, qu’il n’était pas au pouvoir de nos navires de guerre d’extirper, puisqu’elle n’affrontait jamais leur présence, ne dénotait pas seulement un manque absolu de répression, elle indiquait déjà le profond mépris où était tombée l’autorité du sultan. Je ne citerai qu’un exemple des épreuves auxquelles une semblable désorganisation exposait la navigation neutre et les sujets paisibles de la Porte, mais cet exemple suffira pour faire apprécier la situation morale où la grande insurrection de 1821 allait trouver l’Archipel.

Dans les premiers mois de l’année 1815, un bâtiment de commerce français, tombé au pouvoir des pirates de la côte du Magne,