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ment facile pour approvisionner l’Allemagne, l’Italie et jusqu’à la France ; mais c’est aussi par cette voie qu’étaient descendus en Orient les produits des manufactures rivales qui tenaient encore en échec ceux de notre industrie. Avant la révolution, Marseille importait à Salonique de 800 à 1,000 balles de draps. Ses échanges avec cette seule échelle s’élevaient à près de 7 millions de francs. Nous avions eu dix maisons de commerce à Salonique. En 1816, il n’en restait plus que quatre, très pauvres et occupées de transactions dont la valeur totale dépassait à peine 1 million.

Les Turcs considèrent Salonique, au point de vue militaire, comme une des clés de leur empire ; mais l’importance commerciale de cette place ne paraissait pas destinée à s’accroître. L’émigration enlevait chaque année à la Macédoine une partie de ses habitans. Pressés de fuir la tyrannie des beys héréditaires, ils allaient, sous le nom d’arnautes, s’engager à la solde des autres pachas. Le pays s’appauvrissait ainsi peu à peu, et la consommation des objets venant de l’étranger y diminuait en même temps que la production indigène. Les villes comme les peuples ont leurs éclipses ; pas plus que les peuples, elles n’ont sujet de désespérer quand elles n’ont dû leur déclin qu’aux rigueurs temporaires de la fortune. La vallée de Salonique est une brèche pratiquée par la nature, de l’Orient vers l’Europe. Cette brèche s’était un instant fermée ; la voilà qui se rouvre, infiniment plus large et plus facile, grâce aux progrès de la science et aux nouveaux moyens de locomotion propres à notre siècle. Ce ne sera plus bientôt à Marseille, à Trieste ou à Brindisi que le voyageur se rendra, s’il est impatient de gagner Suez ; ce sera par Salonique qu’il voudra passer.

Pour dédommager Marseille de la concurrence que lui opposaient Livourne et Malte, ces deux grands entrepôts de l’Angleterre, Trieste, devenu le courtier de la Belgique et de l’Allemagne, Ipsara et Hydra affectant dans la Méditerranée le rôle qu’avaient eu au XVIIe siècle les ports de la Hollande, il ne restait plus en 1816 que le commerce jusqu’alors insignifiant de l’Égypte. La puissance naissante de Méhémet-Ali attira l’attention de tous les capitaines qui à cette époque visitèrent le port d’Alexandrie. A leurs yeux, l’avenir commercial n’était plus pour nous en Turquie ; c’était vers le delta du Nil, vers cette terre d’une fertilité sans égale, qu’il fallait tourner nos spéculations. La vallée de l’Égypte, comprise entre deux déserts, peut avoir environ 1,700 lieues carrées de surface et 7 millions d’arpens de terres cultivables. En 1816, trois cinquièmes seulement de ces terrains étaient en rapport, et l’on y récoltait déjà, dans les années moyennes, 36 millions de quintaux de blé, 800,000 quintaux de riz, 100,000 de sucre, 60,000 de coton, à peu près autant de lin, de l’indigo, du safran, des soudes et du na-