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avait déjà dans cette province lointaine l’embryon d’une puissance que le sultan pourrait appeler à son aide, si l’ambition d’un sujet déloyal ne la tournait pas contre lui. De toute façon, les ressources des Grecs étaient concentrées ; celles des Turcs devaient être appelées des extrémités les plus reculées de l’empire. La proportion des forces pouvait donc demeurer égale, si les Grecs parvenaient à fermer à l’ennemi la route maritime. Qui serait le plus fort des quatre cents navires d’Ipsara et d’Hydra ou des frégates et des corvettes de Constantinople, de Tunis, d’Alger et d’Alexandrie ? Celui qui eût pu répondre d’avance à cette question aurait prophétisé sans peine la tournure que prendraient les événemens et le succès final de la lutte.

IV.

Chaque fois que le sort des armes a cessé de nous être favorable, nous en éprouvons un profond étonnement, si profond qu’on a pu en plus d’une occasion reprocher à cette surprise singulière d’avoir contribué à paralyser la défense. Notre consternation, par bonheur, n’est jamais de bien longue durée ; nous nous remettons vite de nos plus fâcheuses impressions, et c’est là ce que les étrangers appellent avec raison « notre élasticité. » Presque toujours une grande activité d’esprit, une sorte de renaissance intellectuelle, ont distingué les périodes qui suivirent nos plus rudes épreuves. Quel siècle vit jamais une plus belle floraison que celle dont les premières années de la restauration se parèrent tout à coup aux applaudissemens du monde ? Nous ressaisîmes alors le sceptre de la science et des lettres que la main fiévreuse de la France avait laissé un instant échapper. C’est ainsi que nous entendions rester, malgré nos malheurs, malgré nos défaites, ce que le conquérant de l’Europe avait eu le droit d’appeler la « grande nation. » Le goût de l’étude était partout ; il devait se manifester avec plus d’énergie encore dans la marine, car la marine se rappelait avec un juste orgueil qu’elle avait été sous l’ancienne monarchie l’arme savante par excellence. Que d’aptitudes diverses se firent jour, de 1816 à 1821, dans cette seule station du Levant, où l’on put voir figurer, à côté de capitaines qui s’appelaient Halgan, Grivel, des Rotours, de Montgery, Gautier, Kergrist, Duval d’Ailly, des lieutenans tels que les Hugon et les Gallois, officiers dont on s’étonne de rencontrer les noms, qu’avait déjà illustrés plus d’un glorieux fait d’armes, encore relégués à cette date dans un poste aussi humble !

Le 7 septembre 1817, la frégate la Cléopâtre, montée par le capitaine de vaisseau Halgan, mouillait sur la rade de Smyrne. C’était