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va de l’œil à un objet éloigné n’est pas une ligne droite, c’est une ligne brisée dont la courbure varie suivant la température et l’état hygrométrique des couches d’air qu’elle traverse ; de là des erreurs de pointé considérables qui influent sur la valeur des angles mesurés. Toutes ces causes d’erreur s’appliquent aux signaux, aux clochers, aux tours, aux édifices quelconques choisis jadis par les géodésiens comme points de repère pour les sommets de leurs triangles. Il y a mieux : par les temps brumeux, avec le hâle par exemple, la mire devenait complètement invisible, et l’observateur attendait des jours, quelquefois des semaines entières, l’instant propice où il pouvait apercevoir le signal.

Un grand géomètre allemand, Gauss, chargé de la triangulation du Hanovre en 1831, a fait disparaître ces inconvéniens par un moyen aussi simple qu’ingénieux. Il avait sans doute observé qu’une vitre éclairée par les rayons du soleil est visible à une distance énorme. Cette remarque, que tant d’autres avaient faite avant lui, fut le point de départ de son héliotrope. Simplifié par les géodésiens modernes, cet instrument consiste en un miroir argenté de 1 décimètre carré, porté sur un châssis qui permet de lui donner une position et une inclinaison quelconques. Une planchette percée d’un trou circulaire est placée devant le miroir dans la direction du sommet où se trouve l’observateur, et en changeant de temps en temps l’orientation et l’inclinaison de la glace à mesure que le soleil se déplace dans le ciel, on fait en sorte que les rayons réfléchis par le miroir passent toujours par le trou circulaire, dont elles éclairent les bords. Le géodésien vise sur ce miroir, qui de loin a l’apparence d’une étoile de première grandeur. Cette étoile artificielle est parfaitement distincte, même à l’œil nu, à la distance de 100 kilomètres, et la courbure de la terre est le seul obstacle qui en limite la visibilité dans une lunette d’un grossissement de cinquante à soixante fois ; brillante comme Sirius par un temps clair, on l’aperçoit même avec le hâle ou un horizon brumeux. Trois étoiles brillaient ainsi lorsque nous étions sur le Canigou, l’une à 38 820 mètres sur la montagne de Bugarach, près de Limoux, dans le département de l’Aude ; l’autre à Forceral, au-dessus de la vallée de la Têt, à 30 541 mètres, la troisième sur la montagne de Tauch, à 47 151 mètres. Quelquefois la montagne était peu visible ; mais, quand le soleil se montrait, l’étoile l’était toujours. C’est à l’aide de miroirs argentés de 2 décimètres de côté que le capitaine Perrier se propose de rattacher la triangulation de l’Algérie à celle de l’Espagne. Pendant le jour, deux de ces miroirs, placés sur les sommets du Mulhaçen et du pic de Sagra, et pendant la nuit des feux électriques seront visibles des montagnes des environs d’Oran à la distance de 270 kilomètres.