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temps. Bonnet vit ainsi un ver repousser successivement douze têtes. — Spallanzani, presque à la même époque, alla plus loin que le célèbre naturaliste de Genève. Il coupa les cornes et même une partie de la tête du limaçon à coquille et les vit se reproduire ; il coupa les pattes et la queue de la salamandre aquatique, et en observa pareillement la reproduction. Ce dernier fait, plus extraordinaire que tous les précédens, excita la surprise générale. En effet, la patte et la queue de la salamandre renferment des os, des nerfs, des muscles, dont la régénération paraissait impossible. On avait bien vu renaître la queue enlevée du lézard terrestre, mais sans vertèbres osseuses. La queue de la salamandre au contraire repoussait avec toute sa charpente osseuse, et dans ses dimensions primitives. L’infatigable expérimentateur italien fit voir aussi qu’on peut recouper plusieurs fois les jambes et les queues des salamandres, et reproduire aussi à maintes reprises le même organe avec la même vitalité.

Ces expériences mémorables de Réaumur, Trembley, Bonnet, Spallanzani, sur la régénération des animaux, dont Leibniz avait depuis longtemps pressenti les résultats, firent une impression profonde sur l’esprit de Buffon. Il n’y vit pas seulement des faits très curieux pour l’histoire naturelle, il pensa, comme Bonnet, qu’elles confirmaient des conceptions d’un ordre très élevé. Il y trouva une merveilleuse démonstration de cette idée de Leibniz, que les êtres animés sont composés d’une infinité de petites parties plus ou moins semblables à eux-mêmes, c’est-à-dire que la vie réside non pas dans le tout, mais dans chacun de ses élémens. invisibles, ou encore, pour employer une expression de Bordeu, que la vie générale n’est que la somme d’une multitude de vies particulières. C’est une grande époque dans l’histoire des sciences que celle où l’observation, vérifiant les intuitions du génie, démontra par de si surprenans spectacles cette composition de l’individu organisé telle que chacune des molécules vivantes qui le constituent a en soi un principe d’activité et de développement individuel. Quelque rectification qu’il faille apporter à la manière dont Buffon et Bonnet, après Leibniz, ont développé cette doctrine, elle reste dans sa teneur essentielle le point de départ d’une évolution féconde pour la biologie et l’expression vraie de la réalité.

Les expériences qu’on vient de citer ont été souvent répétées et ingénieusement variées par les naturalistes. Des petits vers d’eau douce, auxquels on a donné le nom de planaires, ont fait l’objet des études de plusieurs savans, entre autres de Draparnaud, de Moquin-Tandon et de Dugès. Ce dernier partagea, soit en travers, soit longitudinalement, de nombreux. individus des plus grandes