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son libéralisme, de bien autres succès encore d’une puissance détestée, de bien autres revers d’une nation aimée, imposaient au roi d’un petit peuple intelligent, mais faible, une allure plus déterminée, — non pas plus autoritaire, mais plus prompte à hâter les réformes afin d’éviter les réactions. C’est ce que fit après tout Charles XV, on doit le reconnaître, avec un très vif sentiment des circonstances, avec une résolution et une sincérité parfaites. L’esprit public en Suède s’était éveillé sous la double influence des premières réformes accomplies pendant le précédent règne et des événemens du dehors ; on ne manquait ni de publicistes de grand mérite qui tiraient des faits les conclusions les plus libérales, ni d’exaltés qui pouvaient n’être pas sans influence sur une partie de la nation. Il n’était donc que sage, tout en prenant fort au sérieux le rôle modeste et patient du souverain constitutionnel de hâter autant qu’on le pourrait quelques-unes des plus importantes réformes. Charles XV le comprit : toute son histoire est dans ce double rôle, quelquefois saillant, plus souvent encore patriotiquement effacé. Il n’y aura pas lieu de parler très au long de sa vie privée, car il a voulu disparaître derrière les grands intérêts publics. C’est en constatant les utiles progrès accomplis pendant son règne, quelquefois par son influence, sous le triple rapport politique, économique et social, que nous lui rendrons le mieux justice.

I.

Stockholm et la Suède offrent un singulier contraste à quiconque les a visitées il y a vingt ans et les revoit aujourd’hui. Le voyageur étranger n’avait pas alors de moyen plus commode pour aller de Copenhague à Stockholm qu’une traversée de mer de trois jours et trois nuits, heureux quand une tempête ne le forçait pas de rester à l’ancre vingt-quatre heures dans le détroit de Calmar, ou de retourner en arrière vers quelque port. Il lui fallait trois jours et trois nuits, dans la saison la plus favorable, pour aller de Stockholm à Christiania ; la navigation des canaux et des lacs intérieurs, par lesquels on descendait vers Gothenbourg pour remonter ensuite vers la côte de Norvége, trop timide pour employer les nuits, était loin d’offrir un moyen de communication rapide. Stockholm n’avait pas d’hôtels, sinon une maison unique, située au bas de la rue de la Reine, et qui s’appelait fièrement l’Hôtel garni. Les restaurans fermaient impitoyablement à quatre heures, le gaz était inconnu ; la petite poste était représentée par un messager muni d’une clochette et coiffé d’un grand casque de cuir bouilli, qui venait à certaines heures recueillir aux carrefours les lettres déposées à l’avance dans la première boutique venue. C’étaient enfin de vigoureuses Dalé-