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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 décembre 1872.

Lorsqu’un homme d’une intelligence supérieure, ému du plus noble sentiment d’anxiété morale, prétendait qu’il était plus difficile de connaître son devoir que de le faire, il disait le mot vrai de tous les temps de grandes crises publiques, et, s’il était encore de ce monde, il pourrait certes plus que jamais répéter cette parole aujourd’hui. Savoir ce qu’on doit faire, c’est la première de toutes les difficultés, et on n’arrive pas à le savoir sans un certain effort, sans le zèle d’une bonne volonté sincère, parce que ce sentiment de ce qu’on doit et de ce qu’on peut, il faut le dégager incessamment de tout ce qui l’altère ou l’obscurcit, des préoccupations personnelles aussi bien que des calculs de parti.

Il y a eu des momens dans ces deux dernières années où l’excès du malheur semblait rendre aux esprits cette lucidité douloureuse et résignée qu’on retrouve quelquefois en face des suprêmes catastrophes. De telles épreuves ont été infligées à notre infortuné pays que devant cette image de la France ensanglantée et mutilée toutes les autres considérations paraissaient légères, les sacrifices d’opinions ou de prétentions particulières s’imposaient d’eux-mêmes. En un mot, on se soumettait plus ou moins volontairement à une nécessité de patriotisme. Puis on en est bientôt venu à dévier de cette politique inspirée par le sentiment d’une situation cruellement compliquée. On s’est laissé entraîner de nouveau et par degrés aux défiances, aux animosités implacables, aux rivalités d’ambition et d’influence, on a levé drapeau contre drapeau. Les circonstances ont-elles donc changé si vite qu’on ait retrouvé tout à coup la liberté de recommencer sans danger la guerre des opinions et des partis ? Non, rien n’est malheureusement changé, en ce sens que les conditions de la paix la plus accablante ne sont point encore complètement exécutées, que l’occupation étrangère est toujours là, et que cette réorganisation nationale dont on se faisait un programme est à peine ébauchée. Le pays, qui sent ses souffrances, reste, quant à lui, avec les