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LA VOCATION DE LOUISE



I.

Le vent soufflait dans les avenues de chênes et d’ormes centenaires qui, sur une distance de trois kilomètres, s’étendent du château de Montluisant à la ville, continuant l’un des plus beaux parcs de France ; il faisait craquer les branches à demi dépouillées, soulevait les feuilles jaunies par tourbillons. Du grand salon bien clos, on entendait ces bruits de tempête qui donnent tant de prix à la chaleur gaie d’un bon feu. Il était l’heure aussi de l’intimité, cette heure qui n’est plus le jour et qui n’est pas encore la nuit. Autour de la cheminée, une causerie à demi-voix, dominée par le tic-tac vibrant d’une horloge monumentale, réunissait un groupe qui eût fait songer à la plus douce vie de famille. Chacun des visages qu’on entrevoyait semblait heureux et sympathique. Quant au sujet qui, depuis tantôt une demi-heure, absorbait toutes les facultés de quatre personnes, il était en lui très frivole, bien que fort important, — un premier bal, un début dans le monde. L’héroïne de ce grave événement, assise sur un coussin, sa tête blonde inclinée sur ses genoux, qu’elle serrait de ses deux bras, recueillait les avis avec anxiété. Sans aucun doute, ce soir-là devait rester dans ses souvenirs une date mémorable ; on l’armait pour le combat, on discutait ce qui la ferait charmante et belle, femme en un mot. Une fille sortie du couvent l’avant-veille perd facilement la tête en pareille circonstance ; la chrysalide près de devenir papillon doit avoir de ces éblouissemens. Dans les préparatifs du plaisir réside presque toujours l’ivresse, le plaisir lui-même n’étant souvent qu’une déception ; mais Louise ne savait rien, sinon que la vie commençait