Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sprée, démontre que les Germains avaient accepté ici encore l’identification romaine. — Thor est le dieu du tonnerre ; les éclairs et la foudre précèdent et annoncent ses coups ; c’est de lui, suivant l’opinion populaire chez les anciens et au moyen âge, que proviennent, à la surface de la terre, ces innombrables pointes de silex, débris mieux connus aujourd’hui d’un premier âge de l’humanité. Son nom, sous diverses formes, s’identifie avec le mot même qui, en latin, en français, dans les langues germaniques, désigne le tonnerre (thunar, donar, donner, tonitru). Et Hercule aussi, par un des aspects les plus anciens de sa légende complexe, est une divinité de la lumière qui préside aux phénomènes célestes, aux lois et aux vicissitudes climatériques. — Tacite enfin, dans la Germanie même et ailleurs, présente Hercule tantôt comme un simple héros, tantôt comme un dieu, distinction déjà signalée par Hérodote et conforme à l’antique mythologie, qui connaît un Hercule doué d’une nature moitié humaine, moitié divine, type de ce que peut atteindre l’humanité quand elle s’avance secondée par les dieux. Or n’est-il pas curieux de remarquer que, dans l’Edda, Thor est appelé vagnaverr, l’homme au char, l’homme-héros, vir ? Ou bien encore il y est nommé einheri, mot que Finn Magnussen traduit par heros egregius. Dans un autre texte tudesque, postérieur à l’Edda, le mot mann, homme, lui est appliqué.

Il est vrai qu’à comparer les noms de la semaine, la concordance s’interrompt. Dans toutes les langues germaniques, encore aujourd’hui, le cinquième jour emprunte son nom du dieu Thor : donnerstag en allemand, torsdag en danois, thursday en anglais, tandis que le jeudi, dans les langues de souche latine, est le jour de Jupiter, non d’Hercule. On comprend toutefois qu’une confusion se soit établie entre le dieu Thor, présidant aux phénomènes célestes, et Jupiter, devenu le premier des dieux, revendiquant cette suprême manifestation des éclairs et de la foudre. Les traces de cette confusion persistante sont visibles : les documens latins du moyen âge attribuent presque constamment à Jupiter ce que les documens germaniques des mêmes temps attribuent au dieu Thor. L’auteur de la Vie de saint Boniface appelle chêne de Jupiter, robur Jovis, le chêne de Donar, Donares eih, que le saint fit abattre à Geismar, en Hesse. Le chroniqueur Saxo Grammaticus appelle lapides ou mallei joviales, c’est-à-dire pierres ou marteaux de Jupiter, ces innombrables silex taillés ou polis qu’on regardait comme les débris de la foudre, et que la langue populaire en Germanie appelait les coins de Thor, donnerkeile. Nous avons traduit enfin par le mot joubarbe, d’après l’expression latine barba Jovis, le donnerbart germanique, cette belle plante qui croît d’elle-même sur les vieux murs et sur les toits, tout exprès, nous assure le moyen âge, pour les préserver de la