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Grimm, Tanfana n’est pas autre non plus que la divinité du feu et du foyer. Devons-nous regarder comme définitive cette explication de Grimm ? Non, car lui-même en propose une différente dans son Dictionnaire allemand, au mot forst. D’autres commentateurs ont recours soit aux idiomes italiques, soit à la vieille langue des Belges. Aveux de notre impuissance, quant à présent du moins, en présence de ces problèmes subtils et complexes.

L’historien romain ne nous paraîtra pas moins incomplet ou moins difficile à interpréter, si nous cherchons à nous faire une idée d’après son texte des dogmes ou de l’inspiration qui animaient de son temps la religion des barbares. Il nous dit que les Germains croyaient indigne des dieux de leur élever des temples et de leur fabriquer des statues. Lui-même cependant a mentionné ce temple de Tanfana que les légions de Germanicus auraient entièrement rasé pendant une expédition contre un des villages qu’habitaient les Marses. Quant aux statues, comment donc, s’il n’y en avait pas, s’imaginer cette promenade de la déesse Nerthus, portée sur un char, puis lavée, suivant quelques-uns, par le prêtre dans les eaux d’un lac solitaire ? S’agissait-il d’un simple tronc d’arbre grossièrement équarri, comme semblent avoir été ces xoana, prétendues œuvres de Dédale, que la religion primitive des Grecs multipliait, et dont Pausanias nous parle en détail pour en avoir vu quelques restes ? En discutant plus haut les analogies que les Romains avaient pu songer à établir, entre Mercure et Odin par exemple, nous avons dû supposer que certaines ressemblances s’étaient traduites par des représentations figurées de part et d’autre ; faut-il croire, comme on l’a proposé, que ces dieux étaient représentés seulement d’une manière symbolique par les armes mêmes que leur attribue la mythologie du nord, Odin par la lance, Thor ou Donar par le marteau, Tyr par l’épée ? Les expressions dont se sert Tacite, signa et formas deorum, n’ont-elles pas d’autre sens ? Le premier texte qui nous montre quelque monument analogue à une statue chez les peuples de la Germanie est seulement, il est vrai, de la seconde moitié du IVe siècle, et, chose curieuse, ce texte paraît reproduire une cérémonie toute semblable à celle que décrit Tacite. Il s’agit d’un roi des Goths qui, pour arrêter dans son royaume les progrès du christianisme, fait promener, dit Sozomène, l’image d’une divinité païenne sur un char, lequel s’arrête devant les maisons de ceux qu’on soupçonne de s’être convertis. Il n’est pas douteux qu’au Ve siècle les Francs n’eussent des statues de leurs dieux : on se rappelle les récits de Grégoire de Tours et les discours qu’il prête à Clotilde : « Les dieux que vous adorez sont de pierre ou de bois… »

Suivant Tacite, si les Germains ne veulent pour leurs dieux ni statues, ni temples, c’est qu’ils ont une idée très haute de la