Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

particulière dans une des plus vivaces traditions germaniques. On connaît la légende du chasseur infernal, que reproduisent sous tant de formes diverses le Freyschütz, Robin Hood, la Mesnie Hellequin, le grand Veneur de Fontainebleau, etc. À minuit, l’air retentit des aboiemens d’une meute lointaine ; à mesure qu’elle approche, les hennissemens des chevaux s’y mêlent avec les cris des cavaliers et les gémissemens de la bête aux abois. On aperçoit des ombres qui passent en courant et font frémir les branches des arbres. C’est l’armée ou bien c’est la chasse d’Odin ou de Wuotan, wütendes Heer, wütende Jagd. Il semble que Tacite ait cette légende en souvenir quand il décrit lui-même, chez une tribu barbare, une armée infernale, feralis exercitus, qui ne combat que la nuit, ou bien encore lorsqu’il raconte la chasse invisible d’un Hercule oriental. Dans une apparition nocturne, le dieu indique les forêts qu’il a parcourues, et l’on y retrouve étendus à terre les animaux victimes de ses coups inévitables. De même qu’Indra est assisté dans sa lutte par les Maruts et les Ribhûs, de même Odin, monté sur son cheval blanc, a pour cortège pendant le combat les Valkiries et les Einheriar ou héros, et pendant la chasse les Elfes, c’est-à-dire les âmes des morts, à qui il a ouvert son Valhalla comme Indra leur ouvre son svarga. Des Elfes aussi, il est dit très souvent qu’ils s’en vont traire les vaches, qu’ils sont très friands de lait, qu’ils s’introduisent dans les étables. Suivant certaines traditions, l’armée infernale, qui apparaît surtout dans la nuit de Noël et pendant les nuits suivantes jusqu’à la fête des Rois, exige chaque année une vache en sacrifice ; elle bénit à ce prix le reste du bétail, et la récolte du lait devient abondante. Toutes légendes qui ne font que varier à l’infini le thème primitif, fourni par les hymnes védiques, des nuages comparés aux vaches et cessant, grâce à Indra vainqueur, d’intercepter les rayons du soleil ou de retenir la pluie. Une fois, les Elfes ont mangé, séance tenante, la vache qui leur était due, mais les os de l’animal avaient été soigneusement recueillis par leur ordre, et rangés dans la peau ; ils le ressuscitèrent avant leur départ. Comparez à cette légende germanique certains textes des Védas, et les analogies se montreront évidentes : « Vous avez par vos chants, ô Ribhûs, ô fils de Sudhanvân, ressuscité de sa peau la vache sacrifiée. — Vous avez, ô Ribhûs, avec la peau rhabillé la vache. » Un autre hymne s’exprime ainsi : « Parce que les Ribhûs ont formé la vache chaque année, parce que chaque année ils ont communiqué leur éclat, ils ont obtenu l’immortalité. » M. Mannhardt a conjecturé que ces paroles faisaient allusion à l’ensemble des nuages que la saison pluvieuse épuise annuellement, et qui se refont toujours. Il est impossible en tout cas de méconnaître une réelle analogie entre ces expressions mythiques et les traditions de l’Allemagne ou du Nord.