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pour moins de 300 livres par an ! » La France traversait une de ces époques d’abstinence où les folies de son gouvernement la mettent au pain sec. Quelques-unes de ces lettres ont été écrites par mégarde sur le brouillon d’un compte de dépenses ; notre marquis, paraît-il, ne lésinait pas envers lui-même, tout en prêchant l’avarice. Les seuls frais de son carrosse de louage s’élèvent chaque mois à 500 livres, dont voici le détail en aperçu : « une demi-journée de voiture 8 livres, une journée 11 livres, etc. » Son fils cadet, le chevalier de Balleroy, payait une chambre d’hôtel garni 10 sous par jour. Rien d’étonnant si la bourse du voyageur est ordinairement vide, et s’il crie famine par tous les courriers : « Envoyez-moi mon habit noir et quelques assiettes (quelques fonds), car je suis bien bas, on ne peut être plus has que je le suis, je reste actuellement avec cinq louis et trois écus. » L’argent arrive ; il ne se tient pas de joie : « Votre lettre de change est venue bien à propos, ma chère amie ; je vous embrasse un million de fois. Comptez que cet argent me ramènera à Balleroy. » Au plus fort de ses embarras, il lui meurt un créancier à fonds perdu ; tout naturellement un long soupir de satisfaction lui échappe : « Nous voilà donc soulagés de 1,000 écus de rente ; il me semble qu’il convient que nous lui fassions faire un service ! » Peu à peu la rigueur des temps s’adoucit, les difficultés s’aplanissent ; quitte de ses procès, converti à la saine méthode de payer ses dettes pour être vraiment riche, guéri même d’une légère apoplexie qui l’a frappé dans les rues de Paris, et pour laquelle un docteur nommé Angot lui a recommandé les bouillons de vipère, le marquis de La Cour reprend une bonne fois le chemin de Balleroy, apportant à la marquise, pour fêter son retour, « trois bagnolettes, » c’est-à-dire des coiffes mises à la mode par Mme la duchesse d’Orléans dans ses promenades du soir à Bagnolet, et « de jolis petits jambons de Vessefalie à 25 sous la livre, qui ont bonne mine et qui sentent bon. »

Nous connaissons les personnages essentiels et l’occasion de cette correspondance : c’est le moment de recueillir les informations qu’elle contient et de passer en revue la série vivante des caractères qui s’y produisent ; nous y chercherons de préférence ce qui touche aux mœurs contemporaines et à l’esprit public, ce qui peut ajouter quelques traits nouveaux à l’histoire des commencemens du XVIIIe siècle.


II

Les plus anciennes lettres portent la date des dernières années du règne de Louis XIV ; mais jusqu’en 1715 elles sont peu nombreuses et d’un médiocre intérêt. La première remonte à 1692 ;