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s’avancer beaucoup, que les années y comptent double ; mais on commet trop souvent en France l’erreur de vouloir ramener nos colonies à un type unique, et de croire que les besoins des unes répondent aux besoins des autres. Cet esprit d’assimilation aurait plus que partout ailleurs de fâcheux effets en Cochinchine. Nous avons affaire à un pays nouveau, différant entièrement de ceux que nous avons depuis longtemps l’habitude d’administrer ; les traditions seraient insuffisantes en présence de nécessités inconnues jusqu’à, ce jour, et doivent faire place à des mesures directement appropriées au caractère de notre jeune colonie. La formation du nouveau corps d’inspecteurs comblerait en quelques années bien des lacunes du système actuel, et donnerait à tous de sérieuses garanties pour l’avenir. La carrière qui s’ouvrirait ainsi aux esprits aventureux, aux âmes bien trempées pour l’absence, ne serait dépourvue ni d’intérêt ni de charme ; on souffre sur cette terre, mais nul ne l’a connue sans l’aimer, sans demeurer pénétré de l’importance des destinées qui peuvent s’ouvrir devant elle.

Nous avons dit que les indigènes et les Chinois restaient justiciables des lois de l’empire d’Annam, dont l’application, surtout dans les cas graves, était laissée aux mains des inspecteurs. En songeant à créer dans un pays nouveau des établissemens industriels et des centres agricoles, on se préoccupe avant tout des conditions et de la législation du travail dans ce pays. Telle fut en effet la question qui s’imposa quand les premiers colons européens vinrent s’établir sur les concessions qu’ils voulaient exploiter. L’Annamite, souvent pressé par les besoins du jour, contractait un engagement presque avec répugnance, travaillait mollement, exigeait une surveillance incessante, disparaissait un jour, et ne revenait pas. On avait alors recours au code annamite, qui s’expliquait ainsi : si le travailleur n’a d’autres engagemens vis-à-vis de la partie plaignante que ceux de son contrat, il est libre de le rompre ; s’il est débiteur, il doit le travail au créancier jusqu’à l’extinction de sa dette. La loi était formelle, on ne pouvait transiger avec elle ; le propriétaire voyait donc les bras lui échapper, et par ce fait même ses intérêts se trouvaient en péril.

Les travailleurs annamites répondent mal aux besoins d’une exploitation. Peu faits pour travailler en communauté, ils préfèrent se placer, même à un salaire inférieur, sous la dépendance d’un propriétaire indigène que d’encourir la surveillance et les réprimandes des Européens. Sans parler du faible rapport de ces bras sans vigueur, ces bras eux-mêmes sont rares en Cochinchine, et ne pourraient suffire à la culture nationale et aux exigences de plusieurs grands centres agricoles établis dans le pays. On devra