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roi cependant ne céda point ; il fit savoir aux ministres que, d’après lui, l’intérêt du pays exigeait leur retraite, c’est-à-dire que, le cabinet refusant de déposer ses portefeuilles, il les lui redemandait. Cet acte du roi provoqua, comme il fallait s’y attendre, une extrême irritation dans le parti catholique, dont les journaux firent entendre des paroles menaçantes pour l’avenir de la royauté. Le Bien public de Gand, journal honnête, qui défend les idées ultra-montâmes avec toute l’intolérance du fanatisme le plus convaincu, publia un article se terminant par ces mots : « il importe aux chefs des peuples de ne pas décourager le dévoûment et l’appui des bons citoyens ; il y a en effet pour les princes un malheur plus irréparable que celui d’être attaqués, c’est celui de n’être pas défendus. » Un représentant, qui rédige seul un journal où il préconise le suffrage universel et attaque les dépenses militaires, M. Coomans, s’était écrié au sein de la chambre : « Nous venons d’assister aux funérailles de la constitution. » La droite applaudit le mot avec fureur ; les journaux catholiques répétèrent la même idée sous toutes les formes en y ajoutant ce commentaire significatif : aujourd’hui lorsqu’une constitution est violée, elle entraîne d’autres institutions dans sa chute. — Les ultramontains se sont toujours montrés beaucoup plus hostiles envers Léopold II, bon catholique semble-t-il, qu’envers son père, protestant ou même philosophe un peu sceptique ; c’est sans doute parce qu’ils espéraient faire du jeune roi un instrument docile, et qu’ils ont été déçus.

Il faut examiner avec quelque attention la révocation du ministère de M. d’Anethau. Cet acte a été considéré comme un vrai coup d’état par ceux qu’il atteignit ; ils ont même assez peu respecté les fictions constitutionnelles pour le faire entendre aux chambres, mettant ainsi directement en cause la prérogative royale malgré ce principe fondamental, qu’aucun acte du roi ne peut être discuté, puisqu’il doit toujours être couvert par la signature d’un ministre, Léopold II n’avait certainement pas violé le texte de la constitution, celle-ci dit en effet : Le roi nomme et révoque les ministres ; mais n’avait-il pas porté atteinte à l’esprit du régime parlementaire, qui exige que le ministère représente la majorité des chambres, et tombe seulement quand celle-ci l’abandonne ? Un souverain qui enlève leurs portefeuilles à des ministres jouissant de la confiance du parlement n’inaugure-t-il pas le régime du gouvernement personnel ? Je pense qu’il faut distinguer. Si le souverain agit ainsi pour faire prévaloir sa volonté, il est incontestablement infidèle à l’esprit du régime constitutionnel, quoiqu’il puisse ne faire qu’user d’un droit que la constitution lui reconnaît ; mais, quand il n’a d’autre but que de satisfaire aux vœux, de la majorité du pays momentanément en