Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un pays catholique qui, comme la Belgique, tentera de fonder un régime de liberté aura donc à soutenir une lutte à mort contre le clergé, parce que l’idéal du gouvernement ne peut être pour celui-ci que le despotisme théocratique. Or il n’est pas certain que les amis de la liberté l’emporteront.

La chaire et le confessionnal, quand le clergé ose s’en servir franchement comme moyen d’influence politique, lui donnent un pouvoir presque irrésistible dans tout pays où la foi est encore vive. La lutte devient même impossible pour les libéraux belges dans les campagnes. Il y a deux moyens de propagande, la parole et le journal. Les libéraux ne peuvent se servir ni de l’un ni de l’autre pour gagner des adhérens à leur cause. S’ils allaient parler au village, ils seraient évités comme des malfaiteurs ou chassés à coups de pierres. L’abonnement à leurs journaux est interdit, et qui les lit ne reçoit point l’absolution. S’ils envoient leurs feuilles gratis, le curé les confisque dans les cabarets, entre les mains du facteur ou dans les maisons particulières. Le café ou l’estaminet qui les recevrait serait dénoncé au prône comme un. mauvais lieu que tout homme honnête doit fuir. Ceux-là seuls qui ne tiennent plus à l’estime ou qui bravent le respect humain osent résister, et ils ne contribuent pas à accroître l’autorité du parti qu’ils soutiennent. Pour faire arriver au moins quelques lueurs jusqu’aux électeurs ruraux, M. Bara propose en ce moment d’envoyer les Annales parlementaires gratuitement à tous les citoyens jouissant du suffrage ; mais les campagnards ne liront point ces longs discours, et le jour où ils prendraient goût à cette lecture, on la leur interdirait. Le livre même ne pénètre plus dans les villes soumises à l’influence du clergé. Dans les cités populeuses, riches, industrielles, de 25,000 à 50,000 âmes, comme Bruges, Courtray, Ypres, Saint-Nicolas, Alost, il n’y a pas un libraire qui ose vendre autre chose que des livres de messe, des récits de miracles et des images de piété, tandis qu’en Allemagne, dans les Pays-Bas et jusqu’en Transylvanie, j’ai trouvé aux vitrines, dans les moindres villes, des publications nouvelles attestant les besoins intellectuels des habitans. Comment les libéraux pourront-ils lutter contre la chaire et le confessionnal sans la parole, le journal et le livre ?

Dans un semblable milieu, les couvens se multiplient à souhait. En 1846, on comptait 779 couvens et 11,968 religieux, c’est-à-dire autant qu’à la fin du XVIIIe siècle, quand Joseph II crut qu’il était urgent d’en réduire le nombre. Le recensement de 1866, le dernier qui ait été publié, portait le nombre des couvens à 1,314 avec 18,162 religieux et religieuses. En dix ans, leur nombre avait doublé, et depuis 1866 l’accroissement ne s’est pas ralenti. Il existe