Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui déjà deux couvens par trois communes, bientôt chaque commune en aura un ou deux. Or ces établissemens disposent d’une grande influence électorale : ils élèvent les enfans ; par les objets de toute nature qu’ils consomment, ils disposent de la voix des boutiquiers. En éludant la loi, ils ont constitué des sociétés perpétuelles qui s’enrichissent sans cesse. La peur du purgatoire est une source abondante de legs pieux, et la confession in articulo mortis arrache aux célibataires des. libéralités considérables qui accroissent chaque année la fortune des corporations religieuses. Leurs maisons s’agrandissent, mais leurs propriétés foncières ne s’étendent pas ; elles attireraient les regards et seraient sujettes aux droits du fisc. Des actions au porteur produisent davantage et échappent à tout contrôle, à toute confiscation. En Hollande, en Allemagne, en France, le nombre des couvens s’accroît régulièrement et rapidement[1]. En Italie même, à peine supprimés comme personnes civiles, ils renaissent sous forme de sociétés en nom collectif. Je n’examinerai pas ici l’influence sociale de ces institutions : je veux seulement montrer que, disposant d’une grande influence politique, elles sont aux mains de l’église de puissans instrumens pour arriver à établir sûrement, par la voie des élections, sa suprématie sur l’état.

Le parti qui obéit au clergé n’a pas uniquement à sa disposition les armes du moyen âge, — la chaire, le confessionnal et les couvens ; — il sait en outre se servir des moyens de lutte employés dans les pays libres et dont il se défiait naguère, les meetings, les associations électorales, les pétitions, les agitations,. la chasse aux suffrages, le canvassing sous toutes ses formes. Dans les villes, les catholiques ont fondé, comme les libéraux, des cercles, des sociétés de musique, des bibliothèques, des conférences, des jeux populaires, des réunions où l’on discute des programmes et où l’on arrête la liste des candidats, dictée d’avance par l’évêque. Ils ne

  1. Pour ne citer qu’un ordre, voici l’accroissement du nombre des membres de la compagnie de Jésus. En 1850, on en comptait au plus 4,000. Aujourd’hui, d’après les relevés les plus exacts qu’on puisse obtenir, ils sont 8,837. À propos de l’Italie, je me permettrai de rappeler un souvenir personnel. En Égypte, j’eus la bonne fortune de voyager avec un ancien collègue de Cavour. Sa femme, esprit brillant et juste, me parla longuement de la situation politique de l’Italie. Elle m’expliqua clairement pourquoi le parti clérical n’est presque pas représenté aux chambres. « Les femmes italiennes, me disait elle, obéissent au confesseur en fait de religion, non en politique, et puis nous n’avons plus de couvens. — C’est vrai, lui répondis-je ; mais, comme en Belgique, ils reviendront plus nombreux. — Jamais, s’écria-t-elle, n’est-ce pas, mon ami ? » Son mari répondit avec un fin sourire : « Dans notre village, nous avions un gros couvent s’étalant au soleil. On l’a incaméré ; il y en a maintenant trois petits qui grandissent dans l’ombre. »