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conséquences ? La première, c’est que le terrorisme employé comme système ne peut pas avoir de fin. On est condamné à l’employer toujours ou à périr, car la barbarie crée sans cesse de nouveaux ennemis qui n’épient que l’occasion d’éclater. De plus, les hommes une fois habitués à être conduits par la peur, il n’y a plus moyen de rien obtenir d’eux par une autre voie. On défend la terreur par la nécessité de sauver la révolution, et l’on invoque le succès pour justifier les moyens. Ce succès, où est-il ? « Il fallait ces supplices pour tout sauver, et moi, après une expérience de quatre-vingts ans, je demande aujourd’hui avec la postérité : Que pouvait-il donc nous arriver de pis ? » On a déjà vu la terreur au moyen âge, sous le nom de l’inquisition. Pourquoi les hommes sont-ils plus indulgens pour l’inquisition que pour le terrorisme ? C’est que, les terroristes plaçant leur idéal sur terre et promettant instantanément la félicité pour tous, le démenti donné par la réalité à leurs promesses était trop flagrant. Tout le monde sait en effet que la cité de Saint-Just ne s’est point réalisée, et que ses auto-da-fé ont été stériles ; mais la cité de saint Dominique et de Sixte-Quint échappe aux yeux mortels.

Le livre de M. Edgar Quinet se termine par l’examen anxieux de ce problème : la France sortira-t-elle de la révolution par la liberté ou par le despotisme ? La crainte de tous les esprits libéraux est de voir la France retourner au bas-empire. Il semble que ce mal soit conjuré à l’heure où nous écrivons. Cependant nul ne peut prévoir l’avenir. L’une des raisons que donne l’auteur en faveur de ses espérances, c’est qu’en France il n’y a pas de plèbe comme à Rome, et que le peuple n’y est pas devenu « populace. » Est-ce bien vrai ? Et n’aurions-nous pas encore cette dernière épreuve à subir ? Tandis que l’on se relève d’une part, et que la liberté se reprend à espérer, ne voit-on pas d’autre part le mal démagogique arriver à des proportions effroyables, égaler par ses forfaits sans compensation l’horreur des crimes révolutionnaires ? C’est un aspect des choses que l’auteur ne pressent pas assez ; il ne voit dans la terreur qu’un système machiavélique, imité des cours et des aristocraties, né des traditions du despotisme, et l’engendrant à son tour. Il n’a pas assez vu dans la révolution le côté démagogique, aussi réel que le précédent, la multitude envahissant les assemblées politiques, promenant les têtes au bout des piques, clabaudant dans les sociétés populaires, et courant à la guillotine comme à un spectacle. Un tel peuple, il faut l’avouer, n’est pas bien loin d’être ou de devenir une populace. L’auteur ne signale point assez cette démagogie si connue des anciens et si bien décrite par leurs publicistes, cette démagogie qui est la vraie mère du césarisme, lequel n’est à son tour que la