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total approximatif de 100 millions pris sur les uns pour enrichir les autres. Ajoutez que, selon M. de Sybel, le budget de l’ancien régime était supérieur à celui de tous les gouvernemens qui on suivi, sauf le comité de salut public, qu’il équivalait à ce que serait aujourd’hui en France un budget de 2 milliards 400 millions, c’est-à-dire celui que les derniers événemens ont amené. Ajoutez enfin les abus intolérables de la perception, et vous comprendrez ce que les classes pauvres et laborieuses devaient souffrir d’un pareil état social. Ces faits suffisent à prouver qu’un changement était devenu absolument nécessaire. Malgré son humeur hostile, toujours prête à chercher le mal, l’auteur allemand ne peut lui-même échapper à l’enthousiasme qu’a inspiré à toutes les âmes nobles la célèbre nuit du 4 août. Tout en citant le mot de Mirabeau, qui l’appelait « une orgie, » il s’écrie : « Il ne faut pas reprocher à cette assemblée, comme on le fait souvent, la ruine d’un système impossible à soutenir ; c’est pour toujours qu’elle a conquis dans la nuit du 4 août la liberté du travail, l’égalité des droits, l’unité de l’état. »

On s’étonne qu’après avoir admiré la nuit du 4 août, l’auteur se montre si sévère pour la déclaration des droits, qui n’a été après tout que la formule abstraite des principes du 4 août. Une fois le régime féodal détruit, que restait-il, sinon la liberté et l’égalité comme principes de l’ordre nouveau ? On peut accorder que cette déclaration était trop abstraite, et Mirabeau pouvait avoir raison de dire qu’elle eût dû suivre, et non précéder l’établissement de la constitution ; après tout, quand nous relisons aujourd’hui cette déclaration célèbre, nous sommes embarrassés de dire quel est l’article que l’on devrait supprimer, et que les hommes éclairés cesseraient volontiers de considérer comme une des bases de l’état social. Sans doute il est toujours dangereux de parler de droits aux hommes, et si l’on pouvait les établir sans les proclamer, en quelque sorte sans qu’on s’en aperçût, cela serait bien désirable. Malheureusement l’homme est un animal qui raisonne, animal rationale, il est doué de la faculté de penser. Il pense donc nécessairement à ses droits, et il les conçoit sous une forme abstraite, aussitôt qu’il en éprouve le besoin. L’abstraction et la généralisation sont la grandeur de l’homme en même temps que sa faiblesse.

Si l’auteur allemand fait une part à la légitimité, à la nécessité même de la révolution, c’est à la condition d’en nier toute l’originalité. C’est au XVIe siècle, à la réforme allemande, qu’il faut remonter, d’après lui, pour avoir la véritable origine de l’affranchissement de l’Europe, et la révolution française n’a été que la dernière expression de ce grand mouvement. C’est une grave erreur, selon l’auteur allemand, de voir dans cette révolution a le point de départ