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suivant les crêtes qui dominent la ville. C’était pour les colons un sujet continuel de crainte. Si une expédition partait pour Papenoo ou pour Punavia, on s’attendait toujours à voir les insurgés profiter de l’éloignement des troupes et venir tomber à l’improviste sur la ville. Le gouverneur sentait bien que, tant que la rébellion conserverait ce dernier abri, la sérénité de la colonie resterait incomplète ; mais comment arriver jusqu’à la redoute bâtie comme un nid d’aigle au sommet du pâté de rochers à pic qui domine de plus de 600 mètres le fond de la vallée ? En abordant cette position de front, on se fût heurté à une muraille que les Indiens eux-mêmes ne franchissaient qu’à l’aide de trous pratiqués dans le roc, périlleux échelons où l’on trouvait à peine à poser le pied. Sur la droite, une cascade se précipite d’un vaste bassin et tombe en flots d’écume dans l’abîme béant ; le flanc gauche est gardé par un piton plus élevé et plus inaccessible encore. Aucune trace n’indique que jamais être humain ait tenté d’en toucher la cime. C’est par là cependant que le gouverneur résolut de prendre l’ennemi à revers, pendant qu’on simulerait une attaque de l’autre côté. Un naturel de l’île de Pâques, ancien oiseleur du roi Pomaré, avait offert de guider nos soldats dans cette ascension que tous les Indiens de Taïti jugeaient impossible. Il l’avait accomplie jadis lorsque seul, gardant soigneusement son secret, il poursuivait dans les dernières retraites où l’on pût le trouver encore cet oiseau des tropiques dont les plumes écarlates devaient composer le manteau royal. Le 16 décembre 1846, à huit heures du matin, il se mettait en route pour reconnaître par lui-même le chemin aérien qu’affronteraient sur sa foi 25 Indiens choisis par Tariri et 38 volontaires français commandés par le second maître Bernaud. A cinq heures du soir, l’intrépide oiseleur rentrait au camp exténué de fatigue. La sécurité de l’ennemi était complète. L’attaque fut résolue pour le lendemain.

Le capitaine Bonard, qui commandait l’expédition, partagea sa troupe en deux colonnes : 150 hommes d’infanterie, sous les ordres du capitaine Massé, marchèrent directement vers le fort et s’avancèrent avec précaution dans la gorge, plaçant des sentinelles à tous les débouchés par lesquels on eût pu les tourner. Vers dix heures, ils étaient en vue de la redoute, et ils ouvraient une vive fusillade à laquelle les insurgés, prenant cette attaque au sérieux, s’empressaient de répondre par quelques coups de feu et par une avalanche de pierres. Ces quartiers de roche, tenus en équilibre et prêts à céder au moindre effort, sont un formidable moyen de défense quand on peut les faire rouler sur l’assaillant du bord d’un précipice, ou de la plate-forme d’un donjon. C’est la grosse artillerie des Indiens. Dans la guerre de Taïti, elle a souvent fait reculer nos colonnes. Il était difficile de voir sans un certain effroi ces masses