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rentes de tel prince romain, il n’aurait pas dépensé 5 ou 6 millions à renouveler l’aqueduc de Claude, il n’aurait pas conquis le grand prix d’agriculture qui lui a été décerné à l’exposition universelle. Les 200,000 ou 300,000 écus de rentes que possèdent les Borghèse, les Doria, les Rospigliosi, les Massimi, que seraient-ils dans la résurrection agricole immédiate d’un pays entier ? Une goutte d’eau jetée aux sables du désert. Il y a plus, ces 200,000 ou 300,000 écus ne sont pas disponibles, l’emploi en est fixé d’avance ; le budget de l’année est tel qu’il emporterait avec la rente une partie du capital, si le capital était mobilisable, ou si l’on ne s’imposait des privations. Il n’est pas d’état grevé de charges comme le sont les principautés des patriciens de la Rome moderne. Couvens à entretenir, dotations à continuer, pensions à payer, œuvres pies à pourvoir, villas à replâtrer, à ratisser, à tondre, grand train à tenir, domesticité multiple à soudoyer : il y a de quoi effrayer les envieux mêmes. Mieux vaut être pauvre d’un petit avoir non grevé que riche comme ces princes. Il n’est pas besoin de leur supposer des vices brillans, ni le goût du jeu, pour comprendre qu’ils n’aient rien à consacrer à l’amélioration agricole de leurs domaines. On les sent même très embarrassés par l’entretien de leurs villas et de leurs palais ; plus d’un s’ingénie à en sous-louer ce qu’il peut. Le public jouit trop de leurs villas pour avoir le droit de leur faire des reproches, et on peut dire sans ingratitude que, si les constructions y sentent un peu la ruine, si les bosquets et les pelouses y sont moins bien en ordre que la ferme d’un gentleman anglais, la faute en est non pas à eux, mais au régime dont ils sont les plus éclatantes victimes.

En effet le majorat, qui jusqu’au changement de régime les conservait riches en apparence, est aussi ce qui les a en réalité appauvris. Si vous demandiez : à qui ces bois, ces près, ces oliviers ? et qu’on vous répondît : au prince X…, il n’en fallait rien croire avant examen ; le prince X… pouvait bien n’en avoir que la nue propriété. Des erreurs de conduite avaient fait confisquer ses rentes par les créanciers ; ce somptueux seigneur vivait de misère, la chronique parle d’aumônes qu’il recevait sur le modeste budget du saint-père. Vous vous étonnez, vous demandez pourquoi il ne vendait pas un coin de ses domaines ; il eût payé ses dettes et se fût retrouve riche après cela. Oui, mais le majorat, mais la législation pontificale ! Jusqu’à ces derniers temps, cette combinaison élémentaire ne se tolérait que par exception et sur autorisation motivée du pape même. A plus forte raison ne pouvait-on pas vendre une partie de son champ pour mettre l’autre en valeur. En rencontrant un de ces titres, vous étiez tenté de lui dire : — Mon prince, vendez donc la moitié de ces domaines qui ne vous imposent que des charges et créez des