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des domaines immenses confiés à ces mains inertes ou inhabiles ? S’il y a lieu de s’étonner de quelque chose, c’est que tout cela rapporte encore quelques revenus avec de tels maîtres, — et ce n’est qu’à la condition d’être exploité, géré par d’autres : pour les biens de ville les avocats, pour les biens ruraux les tenanciers à ferme, qu’on appelle ici « marchands de campagne. » Je ne sache que les vignes qui soient exploitées directement par les ordres réguliers ou séculiers, quand elles sont dans un rayon rapproché de la ville ou du couvent. Portez-vous sur les coteaux qui avoisinent Rome ou suivez l’aqueduc de l’Acquafelice, vous y trouverez quelques vignobles tant bien que mal tenus ; beaucoup sont de mainmorte, qui à saint Giacomo, qui à saint Domenico, qui à tel autre saint. Un paysan les cultive ; payé à tant par mois, mais engagé à l’année à titre de contre-maître responsable, il loue des ouvriers au compte de l’administration. Il reçoit les visites plus ou moins fréquentes d’un ou de plusieurs frères surveillans, qui se montrent surtout à l’époque des vendanges. Ce chef travailleur à gages mesquins, sans capital, sans intérêt dans l’entreprise, suit naturellement une routine appauvrissante. De là ce résultat, assez digne de remarque, que les vins les plus recherchés des anciens Romains, liquides généreux et pleins de qualités naturelles, sont si mal récoltés qu’ils ne peuvent pas être conservés longtemps ; ils ne se prêtent pas tels quels à l’exportation. Les vins sucrés de Marino se transforment en vinaigre, et tels nectars dignes de Marsala ne se consomment qu’au jour le jour, à la barrique, sans qu’on ait songé à les emménager pour les mettre en bouteilles. Les propriétaires sont réduits à les faire vendre en boutique par leurs propres agens, dans les rues de Rome, au détail, sous le titre de vini padronali. Ainsi de tout le reste. La condition la plus favorable pour les ordres religieux, c’est de louer leurs domaines aux laïques moyennant une rente fixe. Que sont ces entrepreneurs tenanciers ou mercanti di campagna, qui presque seuls représentent la classe agricole dans l’agro romano ? C’est ce qu’il importe de bien comprendre. Ce sont gens de la classe moyenne, plus citadins que ruraux, riches de quelques capitaux disponibles et d’un esprit d’entreprise souvent très hardi. Ils sauvent le pays d’un complet abandon, peuplent le désert de troupeaux, et font croître le peu de blé que consomme la population clair-semée. Les latifundia que leurs propriétaires livrent, ainsi au mercante di campagna peuvent se diviser en trois sections principales : la macchia (bois), la pastorizia (pâture), la tenuta (ferme). A proprement parler, celle-ci peut embrasser les deux autres, mais elle suppose quelques labours.