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hiérarchique, rappelle les factoreries coloniales, et procède avec assez d’ordre ; cependant un tel système est l’incarnation de la routine, et ces intermédiaires ne laissent pas que d’éloigner singulièrement l’entrepreneur lui-même de son travail. Il y gagne d’échapper aux brigands (ses propres manouvriers parfois) et à la malaria ; il y perd les bénéfices de l’œil du maître, et surtout la possibilité d’améliorer ses procédés agricoles. Ce genre d’exploitation en grand nécessite sans doute autant d’intelligence que de capitaux ; mais il ne peut faire progresser rapidement le pays. C’est tout au plus de la culture extensive, puisque l’exploitant ne peut sérieusement songer à s’approprier le sol. Les baux sont la plupart de neuf ans, quand il faudrait un siècle pour faire surgir la vraie propriété sur ce sol nu. Le fermier y passe comme un nomade, ou y fait passer ses hordes d’étrangers descendus des monts sabins aux saisons de travail. C’est tout ce qu’on peut raisonnablement demander de lui, tant que dure ce régime. La plus intelligente activité ne saurait aller à l’encontre des conditions qui lui sont faites. On ne lui fournit point de bâtimens, comment installerait-il en permanence ses travailleurs ? Il est obligé de louer ses hommes pour chaque saison ; on ne lui laisse même pas ordinairement la liberté de disposer ses assolemens à sa guise.

La culture épuise le sol, disait souvent au fermier le gros moine administrateur en lui montrant son bail ; vous ne labourerez que tant de rubbi de terre chaque année. L’homme le plus entreprenant se trouvait ainsi lié par ses engagemens avec d’ignorans propriétaires. Il est certain, d’un autre côté, que lui donner liberté illimitée de défrichement, c’eût été s’exposer l’année suivante à voir d’immenses jachères, encore moins désirables que les pacages anciens. Les défrichemens, pour être avantageux, supposent l’acheminement vers la culture intensive, le désir de continuer les semences dans la mesure du possible, la prétention de s’approprier le sol par un roulement régulier de produits. C’est ce à quoi ne pouvait jusqu’ici s’engager l’entrepreneur. Celui-ci est resté un exploitant, un spéculateur, un marchand ; il ne pouvait devenir un agronome.

Ce n’est pas sans raison qu’on a dit du mercante di campagna qu’il était à la fois agriculteur, bouvier, banquier, négociant, armateur. Il fallait qu’il fût un peu tout cela pour mener du fond de son cabinet de si grandes affaires. Son métier de laboureur souffrait nécessairement de la multiplicité de ses préoccupations. Indépendamment des lois restrictives, des ils et coutumes arriérés, il devait compter avec les conditions économiques du petit état pontifical tout entier. Là en effet la production devait être limitée, puisque l’écoulement était borné. Eût-il eu la liberté d’ensemencer de très grands espaces, la législation trop souvent prohibitive du