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L’empereur d’aujourd’hui serait-il encore le chef de la chrétienté ? Les Zollern ont-ils reçu la préfecture de l’orbis christianus ?

L’Allemand a cru pendant des siècles, et plusieurs le croient encore, qu’à lui seul il résumait l’humanité. Dieu a laissé deux glaives sur la terre, dit le Sachsenspiegel, l’un est aux mains du pape, l’autre est aux mains de l’empereur. L’Allemand avait jadis renversé l’empire romain universel, ou plutôt l’empire épuisé s’était affaissé au premier choc de la barbarie. Ces barbares durent apprendre de leurs vaincus eux-mêmes la vie civilisée qu’ils ignoraient, tout destinés qu’ils étaient à la relever de ses ruines. Leurs bandes ne s’y montrèrent pas également intelligentes. Une tribu y déploya une aptitude merveilleuse, la seule qui ait fondé un établissement de longue durée, la tribu ou confédération des Francs. Elle avait demandé à l’empire lui-même l’investiture de son occupation territoriale et l’avait obtenue. Les Francs avaient spécialement reçu cette espèce d’investissement romain avec un titre de dignité qui en était le signe public, et l’on vit ainsi des chefs barbares décorés de distinctions impériales qui paraissaient le gage de leur établissement définitif dans les provinces de l’empire. Là ne se bornèrent point leurs emprunts. En même temps qu’ils recevaient de l’empire le prestige de son administration, ils adoptaient la religion chrétienne, qui les unissait par des liens intimes aux pays envahis. Ainsi avaient fait d’autres barbares germains sur d’autres points des frontières ; mais telle tribu reçut le christianisme arien, telle autre le christianisme romain : dans l’Occident, la forme romaine était la plus répandue, la plus sympathique aux populations. Lors donc que les vicissitudes des migrations amenèrent en Occident des tribus ariennes, comme étaient les Burgundes et les Goths, partis des régions orientales, ces tribus rencontrèrent la répulsion de l’épiscopat catholique, très puissant dans les régions occidentales, et les chefs des Francs orthodoxes saisirent avec une habileté remarquable l’occasion d’offrir au catholicisme un appui qui fut accepté. De là le triomphe des Francs dans la Gaule, tandis qu’échouaient, dans leurs essais de fondation, des tribus plus civilisées peut-être, telles que les Ostrogoths et les Visigoths. Instrumens providentiels du catholicisme, les Francs, poursuivant leur fortune, se transformèrent bientôt en propagateurs de la religion chrétienne, et lui servirent d’introducteurs en Germanie. Ainsi l’empire franc mérovingien assura sa durée, et, en se retournant contre l’Allemagne païenne, contint la barbarie, à laquelle il opposa pour barrière la civilisation chrétienne. La dynastie austrasienne des Karolings suivit les mêmes erremens avec plus d’éclat encore.

Charles Martel arrêta l’irruption du mahométisme dans la Gaule,