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celui des nerfs elle s’épuise à l’intérieur, en actes moléculaires et profonds, se dérobant à toute mesure précise. Une somme donnée de chaleur développée dans l’économie aurait ainsi, d’une part, un équivalent mécanique, et de l’autre un équivalent psychologique. M. Gavarret, qui est un savant circonspect et fidèle à la méthode expérimentale, ne va pas sans doute jusqu’à prétendre que le sentiment et la pensée peuvent être évalués en calories ; il déclare même qu’il n’y a point de commune mesure entre l’intelligence et la chaleur ; mais il ne manque pas de physiologistes moins timides, qui ramènent toute sorte de manifestation vitale aux formules rigides de la thermodynamique. Quelques remarques succinctes feront peut-être voir que ces physiologistes se méprennent.

L’assimilation du système nerveux et du système musculaire, au point de vue de leur solidarité avec la chaleur, est aventureuse pour beaucoup de raisons. Il y a entre le nerf et le muscle cette énorme différence, que le premier est doué d’une spontanéité refusée au second. La libre musculaire ne se contracte jamais de soi-même ; il y faut une excitation, son énergie est empruntée. La cellule nerveuse au contraire a en soi une vertu d’agir toujours présente, jamais épuisée, dont l’énergie lui appartient en propre. Toutes deux évidemment puisent dans les mêmes milieux externes et internes le principe de l’activité qui les distingue ; mais, tandis que le muscle, organe mécanique, se borne à métamorphoser docilement en une quantité géométrique de travail la force qui lui est octroyée sous forme de chaleur, le nerf, organe vital, reste impénétrable, inaccessible à nos calculs, et exerce à sa guise, dans une série d’opérations indépendantes de la dynamométrie et de la thermométrie, ses pouvoirs caractéristiques et quasi souverains. Du côté du système musculaire, tout est mesurable ; du côté du système nerveux, rien ne l’est. Impressions, sensations, affections, pensées, désirs, douleurs et plaisirs, tout cela compose un monde soustrait aux conditions du déterminisme ordinaire. Cette force supérieure qui, commandant à toutes les plus hautes activités de l’animal, décide, suspend, interrompt, rétablit et règle la transformation elle-même de la chaleur en mouvement, qui, s’affirmant indépendante au dedans de nous-mêmes, et de quelque antique nom qu’on l’appelle, âme, volonté ou liberté, reste la plus indéniable, quoique la plus mystérieuse certitude de notre conscience, cette force proteste contre la réduction de la vie cérébrale au mécanisme. Telle est du reste aussi la conviction de M. Claude Bernard et de M. Helmholtz.