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une nuit d’insomnie, lorsque je proposai de revenir sur nos pas jusqu’à Healdsburg, afin d’y prendre au moins quelques heures de repos dans un bon lit.

La route nous parut au retour encore plus accidentée : elle était autrement éclairée ; les ombres avaient grandi et nous la faisaient voir sous un autre aspect. Pendant un parcours de 5 milles, on longe la rivière, dont le lit ne fait souvent qu’un avec la route : tout passage est interdit et toute communication supprimée dans la saison des pluies. Alors recevant l’eau descendue des montagnes voisines, la rivière se trouve transformée en un torrent furieux. Après les ravages de l’hiver, le calme renaît ; on reprend dans le ruisseau la route de la saison précédente, et cela en toute sécurité, car le pays est exempt d’orages, même de pluies, pendant près de huit mois de l’année. Le Californien est d’ailleurs très peu difficile sur la viabilité des chemins, surtout lorsque les réparations ne sont à la charge ni de l’état ni de la comté. On se contente de peu ; les chevaux ne sont-ils pas excellens et bien capables d’y pourvoir ? L’essentiel est de passer. Si la voie est étroite, dangereuse même, du moins elle mène au but, et le go head américain ne s’intimide pas pour si peu. Ces sortes de périls ajoutent aux émotions du voyage. Si l’impunité suit le danger franchi, on se familiarise bien vite avec lui au point de le braver ou de le méconnaître ; le plus souvent c’est un bien. Les femmes donnent à plaisir l’exemple de ces hardiesses, elles sont intrépides — et de gaîté de cœur.

A deux heures du matin, nous entrions pour la seconde fois à Healdsburg, après avoir fourni dans notre journée une carrière de 95 milles. Je dois dire que la pensée des péripéties qui nous étaient réservées me tint à peu près éveillé. Il en fut toujours ainsi dans toutes les phases de ma vie de marin ; il ne me souvient pas que jamais nous ayons reconnu une terre, quelle qu’elle fût, sans que la nuit qui nous séparait encore de l’atterrissage n’ait été pour moi une nuit d’insomnie, pleine d’émotions indéterminées. Cette fois encore j’étais le premier debout ; dès cinq heures, je faisais l’office de réveille-matin auprès de mes compagnons de route. De toute nécessité, il fallait être prêt à partir à six heures, non plus comme la veille dans cette excellente Voiture dont nous savions par expérience et la solidité et le confortable, mais dans le char-à-bancs du capitaine Foss, seul capable de résister au voyage échevelé que nous allions faire.

A l’heure dite apparut notre nouveau conducteur. C’est une physionomie à part que celle du capitaine Foss. Sa taille élevée, sa large carrure, sa figure honnête et son air sûr de lui-même ne sont pas de trop pour donner confiance ; il est réputé le plus habile