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l’agitaient. Quelques années après, M. Strauss devait retrouver Christian Baur à l’université de Tubingue, et de cet homme qui était non-seulement un savant, mais une conscience, il apprit plus que de tout autre le culte de la science sévère et désintéressée. Blaubeuren lui fut un séjour profitable dont il aime à se souvenir ; les eaux limpides et glacées de la Blau, les âpres rochers de la vallée, les forêts de hêtres et de pins qui les couronnent, tous ces témoins de sa jeunesse captive lui sont demeurés chers, et il a voulu les revoir. Toutefois il parle, sans les expliquer, de certaines mélancolies qui s’abattaient sur lui par instans et qu’il épanchait dans le cœur de son plus intime ami. Était-ce l’effort d’une âme encore nouée qui se débat contre son impuissance ? était-ce la sourde inquiétude d’un esprit qui se sent né pour quelque chose et comme attendu par sa destinée ? Il n’a pas encore deviné son propre secret, il interroge la vie et s’afflige de ses silences. Ce qui est digne de remarque et semble prouver qu’il y a dans le monde de mystérieux courans qui emportent les âmes malgré elles, c’est que l’élite de ces séminaristes, qui en 1821 étaient venus s’enfermer à Blaubeuren pour s’y préparer de loin à l’exercice du saint ministère, n’a fait que traverser l’église pour retourner au monde. On comptait parmi eux Wilhelm Zimmermann, Gustav Pfizer, Friedrich Vischer, Gustav Binder, Elsner, Mærklin, qui tous ont abandonné la chaire pour la politique, l’enseignement ou la plume. « Si en arrivant à Tubingue, dit à ce propos le biographe de Mærklin, nous avions trouvé dans le séminaire une section spéciale de philologie, combien de luttes intérieures n’auraient pas été sauvées à une partie d’entre nous ! combien de croix n’auraient pas été épargnées à notre sainte mère l’église ! »

M. Strauss a écrit sur Justinus Kerner, ce médecin magnétiseur doublé d’un poète romantique, une notice pleine de grâce, de belle humeur et de charme, l’une des productions les plus heureuses de sa plume. Il nous y apprend qu’en 1825, lorsqu’il quitta le petit séminaire pour le grand et l’école pour l’université, il avait encore toute la candeur de sa foi. « Par l’effet de l’éducation religieuse que j’avais reçue, nous dit-il, je croyais encore dans le sens enfantin du mot à la Bible comme à la parole de Dieu. » Les vocations se trahissent par des signes précurseurs, par des goûts et des dégoûts. Tubingue n’était pas encore ce foyer de science libre qu’il est devenu, les astres de première grandeur qui brillaient alors au ciel de l’Allemagne ne répandaient dans l’université souabe que de pâles et lointaines clartés ; Baur n’y avait pas fait son œuvre. Un vieux rationalisme rance greffé tant bien que mal sur la philosophie de Kant, s’y trouvait, en présence d’un supra-naturalisme honnête,