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produit dans les âmes et dans la conscience de toute communauté qui le professe des effets qui ne ressemblent à rien, des fruits savoureux de justice et d’amour, la paix avec soi-même et avec l’ordre permanent des choses, une joie, une allégresse divine, une délivrance surnaturelle, le triomphe de la foi sur la mort et le péché. On peut conclure de l’effet à la cause, de l’état de l’âme rachetée au rédempteur, de la délivrance au libérateur, de l’église à celui qui l’a fondée, — et c’est ainsi que par voie d’induction Schleiermacher reconstruisait le Christ, un Christ à lui, d’une grandeur et d’une sublimité toutes mystiques, à qui il n’était point nécessaire, pour s’imposer à l’adoration des fidèles, d’avoir changé de l’eau en vin et brisé les portes de son tombeau, qui en un mot ne conservait de surnaturel que ce qu’il en faut pour expliquer les miracles intérieurs qu’il opère dans les consciences. Cette méthode ressemblait en quelque mesure au procédé de Kant, démontrant par la notion du devoir et par la liberté humaine l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, dont il rejetait les preuves métaphysiques. Elle rappelle aussi l’apologétique de Pascal, qui n’était chrétien que parce qu’il trouvait en lui-même un mystère, un monstre inexplicable, que le christianisme seul lui expliquait ; mais Pascal était une grande âme malade et tourmentée qui demandait au calvaire le secret de son supplice, Schleiermacher était un esprit heureux et bien portant, un disciple de la Grèce et de la sagesse moderne, et dans son œuvre de réforme religieuse il ne gardait de la folie de la croix que ce qui est édifiant pour un homme du XIXe siècle qui a lu Spinoza. Cependant ce mystique était doublé d’un diplomate, et ce diplomate ne se refusait point aux compromis. — « Pour prix de sa restauration, a dit spirituellement M. Strauss, Dieu avait dû faire entre les mains de Schleiermacher une renonciation officielle à sa personnalité, et le Christ, pour être remis par lui sur le trône, avait consenti à se dépouiller de mainte prérogative surnaturelle. Toutefois, comme il arrive dans toutes les restaurations légitimistes, on voyait, l’événement accompli, reparaître l’un après l’autre plus d’un vieux privilège aboli ; la charte réelle et définitive que le mystagogue devenu diplomate publiait dans sa dogmatique contenait maint article que n’avaient point fait pressentir ses premières proclamations. »

Tandis, que Schleiermacher travaillait au raccommodement des penseurs avec la théologie, Hegel, son illustre rival, qui depuis 1818 lui disputait Berlin et le gouvernement de la jeunesse, s’appliquait à réconcilier les théologiens et les croyans avec sa philosophie. Bien qu’il aimât à considérer les sables du Brandebourg comme un séjour plus propice aux philosophes que les romantiques