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contradictions sont insolubles ; il démontrait par surcroît aux rationalistes que c’est peine perdue de vouloir éliminer le miracle de l’Évangile, qu’il en est le fond et l’essence même, et que leurs explications prétendues raisonnables ne tenaient pas contre le bon sens. Il leur disait comme Montaigne à certains commentateurs de son temps : « Selon votre bel entendement, vous avez établi les limites de la vérité et du mensonge, et il se trouve que nous avons nécessairement à croire des choses où il y a encore plus d’étrangeté qu’en ce que vous niez. » Qu’était-ce donc que ces histoires merveilleuses, pierre d’achoppement et de scandale pour la raison ? De pures légendes, ou, pour mieux dire, des mythes. Le mythe est une fiction ou naïve ou réfléchie qui sert à exprimer une idée ; c’est une idée mise en scène et en action. L’idée qui est l’âme des Évangiles est l’attente messianique, qui depuis longtemps travaillait l’imagination du peuple juif, de ses prophètes et de ses rabbins. Dès qu’on vint à reconnaître dans Jésus le messie promis et espéré, on se persuada que toutes les prédictions, toutes les figures de l’Ancien-Testament avaient trouvé en lui leur accomplissement, on refit son histoire après coup, et les légendes succédèrent aux légendes. C’est ainsi qu’au XIIIe siècle, quand les disciples de François d’Assise eurent conçu la pensée de la parfaite conformité de sa vie avec celle du Christ, les biographies du saint s’enrichirent d’année en année d’épisodes nouveaux, où on le voyait répétant tous les miracles du Christ, renouvelant ses exemples et ses douleurs. Par la même loi et de la même façon s’étaient formés, douze siècles auparavant, les récits des Évangiles, qui, hormis quelques faits incontestables, ne sont qu’un recueil de mythes.

Ce qui ajoutait à l’effet produit par cette thèse hardie, c’est non-seulement la rare puissance de discussion que révélait l’auteur, mais encore le ton posé, le visage impassible, la fermeté tranquille et contenue qu’il apportait dans le débat. Jamais la critique négative n’avait parlé ce langage ; ni railleries, ni colères, — une enquête méthodique où ne se trahissaient que de loin en loin les vivacités d’une humeur guerroyante, — la gravité d’un magistrat qui interroge un prévenu et confronte des témoins, — une procédure régulière, attentive à remplir toutes les formalités, — cette sorte d’esprit géométrique qui, selon Pascal, a « des vues lentes, dures et inflexibles. » Le jeune démolisseur contemplait d’un œil froid les ruines dont il jonchait son chemin, et ne paraissait pas se douter des fureurs qu’il allait soulever. On ne saurait croire pourtant qu’elles l’aient surpris. Toute l’Allemagne s’émut ; au nord et au midi, la croisade fut prêchée contre cette main et cette bouche sacrilèges, ce fut de toutes parts comme un grand bruit de plumes qu’on