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la parole d’honneur de M. Strauss est peut-être une caution insuffisante. Et puis sait-il bien lui-même, dès ce jour et avant que l’oracle ait parlé, où s’arrête le droit de l’Allemagne, et tout ce qu’exige sa sûreté ? Les doctrines de M. Strauss nous paraissent inquiétantes ; quel que soit son bon vouloir, nous ne sommes qu’à demi rassurés.

L’expérience nous enseigne que les bonnes et les mauvaises institutions, les erreurs ou les sages conseils des gouvernemens ont plus de part dans les destinées des peuples que la sévérité ou le relâchement de leurs mœurs, et que leurs malheurs proviennent bien plus de leurs défauts ou de leurs ignorances que de leurs vices. Autrement il faudrait admettre que Iéna fut une victoire remportée par la moralité française sur l’immoralité prussienne, ce qui nous paraît difficile à croire. Le bon sens nous apprend aussi qu’il n’y a pas en Europe des peuples vertueux et des peuples vicieux, qu’il y a partout du bien et du mal, que les nations européennes forment une vaste famille où règne avec quelques nuances une commune civilisation, laquelle produit partout des effets à peu près semblables, apporte avec elle en tous lieux les mêmes bienfaits et les mêmes corruptions. Les dévots ne raisonnent pas ainsi ; la dévotion entend s’admirer elle-même dans ses succès, qu’elle attribue à ses vertus et à sa sainteté, et elle crie anathème sur le malheur des autres, où elle voit un témoignage de leur perversité. M. Strauss est persuadé que les désastres qu’a essuyés le peuple français sont un juste châtiment de cette soif de rapine (Ranblust), qui est le premier de ses penchans. Quiconque a parcouru les campagnes françaises sait qu’elles sont habitées par un peuple de brigands, et quiconque a lu l’histoire contemporaine sait que pendant cinquante-cinq ans, de 1815 à 1870, M. Strauss a pu voir ces brigands à l’œuvre dans la Souabe. En revanche, le savant critique aimait à se persuader que les armées allemandes sortiraient de France les poches vides et les mains nettes, et sûrement il croit encore à leur vertu ; un dogme résiste à l’évidence d’un procès-verbal. — « Ce n’est pas seulement la littérature de la France qui est corrompue, nous dit-il ailleurs, c’est la nation même, et avant la guerre actuelle nous n’avions aucune idée de cette pourriture générale et d’une telle dissolution de tous les liens moraux ; von dieser allgemeinen Faülniss und Auflösung aller sittlichen Bande. » M. Strauss rendait cette sentence après Sedan, et il semblait se promettre que son empereur entrerait dans Paris en trois jours et sans coup férir. ; mais, comme le disait Voltaire, il ne suffit pas de se tromper, il faut être poli.

La France est une maison de verre, ouverte à tous les regards