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entreprise à ce degré de prospérité. Elle eut d’abord à combattre ce mal endémique en Grèce, le brigandage. Quelques mois après la mise en train de la fonderie, le directeur reçut par une voie inconnue un billet signé : Kytzos, prince de l’Attique. Ce haut personnage consentait à laisser les étrangers poursuivre librement leur industrie moyennant une redevance ou tribut de 50,000 francs par an : si ce modeste impôt n’était pas acquitté régulièrement et d’avance, le feu devait être mis à l’usine. On ne tint pas compte de la menace ; pendant un mois on vécut sur le pied de guerre, et l’on ne sortait d’Ergastiria qu’avec une escorte armée. Par un singulier hasard, auquel il paraît d’ailleurs que Kytzos était étranger, un incendie se déclara quelques jours après dans le magasin à fourrages. Le gouvernement grec était absolument impuissant, et la société ne dut compter que sur elle-même pour se faire respecter de son dangereux ennemi. Kytzos avait dans Athènes des amis très haut placés, à qui il rendait souvent visite, et ceux qui ne connaissent pas les mœurs du pays seraient fort étonnés, s’ils savaient le nom du personnage dont la maison abritait l’honorable brigand quand il venait dans la capitale. Il se piquait d’une exquise politesse, et n’aimait pas à verser le sang inutilement. Toutefois le trait suivant montre qu’il ne laissait pas les injures longtemps impunies : un prêtre grec, l’un de ses pourvoyeurs habituels, le prévient un jour que plusieurs Anglais doivent faire une excursion du côté du Parnès. Kytzos se rend au jour dit sur la route, cache ses hommes derrière les broussailles, car il préférait ne pas effrayer ses cliens ; quand la voiture parait, il fait signe au cocher d’arrêter et s’avance gracieusement vers le véhicule dont il ouvre la portière ; mais au lieu des Anglais qu’il s’attendait à y trouver, il voit trois officiers grecs et le pope, qui l’avait trahi. Avant qu’aucun des assistans eût pu s’y opposer, il arrache le traître de la voiture, le poignarde, se rejette en arrière vers ses hommes, échange des coups de feu avec les soldats qui arrivaient au pas de course, en tue deux et s’échappe avec sa bande.

Les fonds du bandit étaient placés chez un banquier d’Athènes ; ce fut ce qui le perdit. On prétend que le financier trahit son client pour garder l’argent, et dévoila le secret d’une de ses expéditions dans le Péloponèse. Surpris par les soldats, Kytzos fut tué à coups de fusil pendant son sommeil en 1868. Il eut pour successeur dans l’Attique un nommé Spanos, plus sanguinaire et plus cruel que lui. Spanos se joignit en 1870 à la bande des frères Arvanitakis que le drame d’Oropos a rendus célèbres. Ceux-ci étaient venus des frontières de Turquie avec l’intention de se saisir du directeur-général de la société, qui se trouvait alors en Grèce. Ils rôdèrent quelque